Accueil > Économie > La machinerie économique

La machinerie économique

mardi 7 mars 2017, par Louis Possoz

Deux disciplines se disputent l’étude de la vie matérielle des sociétés.

  • Les sciences économiques ont pour objet l’étude de la production matérielle des sociétés, de sa distribution et de sa consommation. [1]
  • Les sciences de l’ingénieur ont de leur côté pour objet la conception et la production de ces biens matériels.

Progressivement, la science économique (néoclassique) s’est autonomisée par rapport à la sociologie et s’est fortement mathématisée. À l’instar de la physique avec ses équations de Maxwell et de Navier-Stokes, l’économie néoclassique s’est dotée de lois et d’axiomes.

A priori, les sciences économiques et les sciences de l’ingénieur semblent complémentaires. Pourtant, leurs points de vue sont partiels et souvent incompatibles.

Circulations physiques et monétaires
Louis Possoz

Sue le schéma simplifié de la machinerie économique ci-dessus apparaît une boucle monétaire (en vert) et une circulation physique composée de matière (en rouge) et d’énergie (en violet). À gauche, les entreprises produisent ce que, à droite, les ménages achètent, pour leurs consommations ou pour leurs investissements.

Les incompréhensions entre ingénieurs et économistes viennent de ce qu’ils ne regardent chacun que "leur" couleur, leur circulation physique ou monétaire, peu au fait de l’autre circulation et, surtout, des effets de rétroaction d’un circuit sur l’autre, effets essentiels pour l’analyse de l’économie mondiale.

Les deux circulations sont très fortement corrélées, engrenées l’une à l’autre. La juste compréhension de ce couplage est essentielle à une analyse économique pertinente. Et là, il y a du pain sur la planche pour amener économistes et ingénieurs à partager leurs approches.

 Boucle monétaire

Tout en économie se mesure au moyen d’une même unité, l’unité monétaire. Un pain, une brique, la vie ou la maladie, tout est évalué au moyen de cette unité. Elle est nécessaire aux assureurs pour le calcul des primes. Elle est nécessaire aux statisticiens pour calculer l’inflation. Quelle légitimité y a-t-il à additionner ainsi des pommes et des poires ou à comparer la "valeur" d’une heure de travail avec celle d’un pain ? Les débats sur ces questions sont constants et enflammés.

Dans la partie supérieure du schéma, les entreprises (à gauche), produisent ce que les ménages (à droite) achètent, pour le consommer ou à titre d’investissement. Dans la partie inférieure, les entreprises rémunèrent les travailleurs et les investisseurs en leur versant des salaires, des intérêts et des dividendes.

La circulation monétaire est une boucle fermée, seulement alimentée par le système bancaire si cela s’avère nécessaire. Auparavant, il était d’usage que l’action du système bancaire soit plutôt passive, mettant simplement en circulation la quantité de monnaie nécessaire au bon fonctionnement de l’économie. Avec les crises et le manque de croissance, le système est devenu franchement actif, injectant de grandes quantités de monnaie dans l’espoir de "relancer" l’économie. Cette politique présuppose que la circulation physique arrivera toujours à suivre le mouvement et, en particulier, que l’on trouvera toujours le surplus d’énergie nécessaire à cette relance. Bien des ingénieurs doutent du réalisme de ce présupposé, pour le dire aimablement. Et l’évolution récente de l’économie mondiale depuis la fin des trente glorieuses semble leur donner raison.

Le PIB   est la quantité annuelle de monnaie qui circule dans cette boucle monétaire. Et comme cette circulation peut être mesurée en différents endroits de la boucle, on en déduit que le PIB   représente tout aussi bien la production finale des entreprises, la demande des ménages ou les revenus des ménages. Cette triple approche du PIB   est un principe fondamental des comptabilités nationales.

Il est remarquable que l’analyse de cette boucle peut être menée en ignorant complètement la circulation physique. C’est d’ailleurs bien ainsi que raisonnent la quasi totalité des modèles économiques courants, ne retenant comme facteurs de production que le capital et le travail. Les ressources physiques semblent venir de nulle part et être disponibles en quantités illimitées !

 Circulations physiques

La machinerie économique a pour fonction la mise en œuvre de ressources naturelles, matière et énergie, afin de produire tout ce qui est nécessaire aux humains. Certaines ressources sont renouvelables, biomasses ou énergies, tandis que d’autres ne le sont pas, métaux ou combustibles fossiles par exemple. Toutes les ressources, même les énergies renouvelables, sont néanmoins limitées.

L’énergie est la reine des ressources, parfaitement indispensable car c’est elle qui effectue la transformation de la matière brute en produits finis. En complément, les machines (la capital) et les employés (le travail) sont des auxiliaires indispensables de la production sans lesquels l’énergie ne pourrait être mise en œuvre. Après son utilisation, l’énergie est définitivement perdue ou, plus précisément, dégradée (techniquement, on préférera d’ailleurs parler d’exergie  ). Ceci explique pourquoi l’ économie circulaire ne peut pas résoudre structurellement l’impasse de la croissance économique. De plus, en "fin de vie", la matière ne peut être que très partiellement recyclée, en fonction des possibilités de récupération et de la complexité de sa composition.

Les unités comptables utilisées par les ingénieurs sont le Joule pour l’énergie (ou un de ses alter ego) et le kilogramme pour la matière, en prenant bien soin de séparer la comptabilité des différentes substances (l’aluminium n’est pas du cuivre !). De plus en plus souvent, les organismes statistiques tiennent une comptabilité physique à côté de la comptabilité monétaire, ce qui permet d’étudier plus finement l’articulation entre les deux circulations.

C’est parce qu’ils n’étudient pas l’articulation entre les deux boucles (ou qu’on ne la leur enseigne pas) qu’il arrive souvent que les ingénieurs croient que leurs améliorations techniques vont permettre de diminuer la consommation d’énergie, ou les émissions de CO2, alors que la conséquence réelle est une augmentation de la consommation d’énergie.


[1On ne parlera pas ici des services tant la production de ceux-ci se confond avec la production matérielle (physique).

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

ConnexionS’inscriremot de passe oublié ?