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Biens, services ou biens-services ?

lundi 20 février 2017, par Louis Possoz

Les sciences économiques nous dit-on ont pour objet l’étude de la production et de la distribution des biens et des services. Pourquoi donc cette distinction ? Biens ou services, n’est-ce pas chou vert et vert chou ? Ne s’agit-il pas de deux faces de la même pièce ? « Il n’y a pas de définition parfaite permettant d’établir une distinction entre les biens et les services et ce malgré que les scientifiques l’aient recherchée depuis bien longtemps. »  [1]

 Des définitions claires ?

Pour les manuels d’économie, biens et services semblent deux choses différentes, plus ou moins indépendantes, entre lesquelles on peut donc choisir. Les professeurs d’économie enseignent que les services sont immatériels. Interrogés, ils concèdent que la production des services consomme des biens matériels mais ils insistent sur le fait qu’il s’agit d’une consommation "indirecte". On a ainsi le sentiment que les biens seraient plus matériels et les services plus immatériels. On aurait donc ainsi, en remplaçant des biens par des services, une manière très simple de diminuer l’empreinte matérielle de la consommation tout en poursuivant la croissance du bien-être et des revenus.

Depuis Adam Smith, les économistes sont régulièrement revenus sur le concept de service. Quelles seraient les caractéristiques d’un service qui permettraient de le distinguer sans ambiguïté d’un bien ? Selon une définition généralement utilisée par les systèmes de comptabilité nationale, un bien (ou un produit) est un objet physique pour lequel une demande existe, un droit de propriété peut être établi et dont la propriété peut être transférée sur un marché.

Définir un service s’est avéré nettement plus délicat. On a proposé comme caractéristiques qu’il soit intangible (sans dimension physique), hétérogène (chaque coupe de cheveux est différente d’une autre), inséparable (entre sa production et sa consommation), périssable (à la fin d’un concert la musique n’est plus qu’un souvenir). Cependant, différents auteurs ont proposé de nombreux exemples de services qui ne possédaient pas l’une ou l’autre de ces caractéristiques. Ils ont également proposé des exemples de biens qui les possédaient. [2]

Face à cette difficulté à distinguer un bien d’un service, certains ont proposé de considérer que tout est partiellement un produit et partiellement un service, qu’il n’existe pas de service pur comme il n’existe pas de produit pur mais que l’on retrouve à des degrés divers chacun de ces deux aspects dans chaque bien-service.

Plus récemment, la fusion entre les concepts de bien et de service a été encore renforcée en considérant que, au bout du compte, tout est une question de service, que ce n’est qu’au travers de son usage que la valeur d’un bien-service se réalise. [3]

La distinction sémantique entre bien et service s’avère donc difficile voire impossible. Chaque bien peut être envisagé comme constitué d’une part plus ou moins importante de matière et d’une part plus ou moins importante de service immatériel.

Un bien ne m’est utile par le service qu’il me rend : me nourrir, me protéger, me transporter, me soigner, me divertir, m’émouvoir ou… le simple plaisir de le posséder. Pour le dire autrement, tout bien est acquis pour rendre un service. La question de savoir si toute acquisition d’un service contre monnaie sonnante et trébuchante est accessoire à celle d’un bien est plus délicate.

Hors de la sphère économique (monétaire), il y a peu de doutes que les services immatériels occupent une très large place dans l’activité humaine. Ils font partie intégrante des relations humaines : relations amoureuses, relations familiales, relations sociales sociales, solidarités, etc. Aider, soigner, divertir, consoler, toutes ces activités par essence altruistes forment la substance des relations sociales.
Par contre à l’intérieur de la sphère économique, c’est-à-dire celle des échanges monétisés, le service purement immatériel est un oiseau assez rare s’il n’a pas pour objectif la commercialisation d’un bien clairement matériel.

 Le secteur des services

Du point de vue de l’économie on ne manquera pas de faire la distinction entre services intermédiaires, rendus à d’autres producteurs, et services finaux, rendus aux utilisateurs finaux, consommateurs ou investisseurs.

Les services intermédiaires sont des activités indispensables à la production et la distribution des biens. Sinon, profit oblige, les entreprises s’en passeraient volontiers. Comptabilité, nettoyage, publicité, les exemples de services intermédiaires sont très nombreux. Historiquement, la plupart de ces services étaient rendus par du personnel salarié faisant partie intégrante des entreprises. Par la suite, ces services ont été progressivement externalisés, par souci d’économie, car il est plus facile de négocier avec un sous-traitant qu’avec un syndicat. Comme elles le disent, les entreprises se sont recentrées sur leurs cœurs de métier.

Les services intermédiaires, indispensables à la production des biens finaux, sont donc une partie intégrante de ces derniers. Ils y sont structurellement associés et sont indirectement payés lors de l’acquisition des biens finaux.

Quant aux services finaux, ils s’agit le plus souvent de ceux fournis par un bien acquis ou de prestations indispensables à l’acquisition ou à l’usage d’un bien. Un lave-linge : bien ou service ? Ce n’est pas pour le plaisir de le contempler qu’on l’achète. Encore que. Mais c’est bien le service qu’il rendra à de multiples reprises qu’on l’achète. Le bien matériel ne sera conservé que quelques années, de moins en moins longtemps d’ailleurs, obsolescence oblige ! Souvent, dès le départ on paie (en Belgique) une taxe qui obligera le fournisseur à reprendre la machine en fin de vie.
Ainsi, Parry & al. notent que :

la plupart des biens, qu’ils soient destinés au consommateur ou à l’industrie, exigent l’assistance de services pour pouvoir être utilisés ; la plupart des services exigent l’emploi de biens pour pouvoir être rendus. Dès lors, les biens-services se situent quelque part le long d’un spectre continu. Il serait plus approprié d’adopter le point de vue d’un continuum biens-services plutôt que de définir explicitement les biens et les services. [4]

Architectes ou médecins rendent des services a priori peu matériels. Ces services sont cependant des éléments indispensables, exigés par la loi, pour permettre la production ou la distribution de biens matériels : habitats ou immeubles pour les architectes, produits pharmaceutiques, appareils médicaux ou hôpitaux pour les médecins.

Si l’on peut intellectuellement imaginer l’achat de services purement immatériels, cela reste à la marge. Certains services spirituels, psychologiques ou artistiques peuvent par exemple appartenir à cette catégorie. Dans la pratique, lorsque ces services sont payants, ils intéressent peu les consommateurs ou les actionnaires (les producteurs) à moins qu’ils ne soient associés à du capital, des salles de concert ou des plateformes Internet par exemple. En dehors de la sphère économique par contre, les services purement immatériels sont très nombreux. Ils constituent d’ailleurs la partie la plus importante de l’activité humaine [5]. Un service purement immatériel n’est acheté que lorsqu’il ne peut être auto-produit, reçu ou échangé dans la sphère non monétaire de l’activité humaine.

 Les statistiques de consommation

Reste à examiner l’évolution du comportement du consommateur, comportement qui peut être volontaire ou induit – par la publicité ou le qu’en dira-t-on par exemple. C’est l’ensemble de ces comportements qui détermine au final la structure de l’économie, c’est-à-dire tout ce qui sera produit et en quelles quantités. Comment se déplace le curseur de la consommation ? Évolue-t-il plutôt vers des biens-services de plus en plus immatériels ou bien va-t-il vers des biens-services plus matériels ?

C’est dans les statistiques nationales, celles qui enregistrent l’évolution du panier moyen de consommation, que le comportement du consommateur est le plus lisible. L’avantage de ces statistiques est qu’elles ne sont pas de simples spéculations mais représentent la réalité du comportement des consommateurs. L’évolution de ce panier montre plutôt une tendance à augmenter la consommation de biens intensifs en matière et en énergie, telles les vacances "all inclusive" ou les abonnements aux technologies de l’information et de la communication. On y relève difficilement une croissance de la demande en services purement immatériels. Même les soins aux personnes sont de plus en plus technicisés dans le but d’augmenter la productivité du travail. La nouvelle économie du partage (Uber, Airbnb, etc.) consiste pour l’essentiel à récupérer des activités traditionnellement non monétaires comme l’hospitalité ou le covoiturage, à leur ajouter une couche matérielle (plateformes Internet) puis à encourager leur développement massif. Ces activités se retrouvent ainsi injectées dans l’économie marchande, avec un important potentiel de croissance et, en cas de réussite, des revenus colossaux pour la petite équipe des entrepreneurs.

D’un autre côté, le comportement de l’actionnaire est principalement déterminé par la recherche d’un rendement raisonnable de son capital. Par vocation, l’actionnaire n’intervient généralement que lorsqu’il y a une opportunité d’investissement dans une activité rentable. Par conséquent, la production d’un service pur, qui ne demanderait aucun capital, ne saurait intéresser les actionnaires.

Pour contourner cette difficulté, des entrepreneurs tentent de capturer des pans de l’activité humaine par le développent de plates-formes Internet, par la prise de brevets et par un lobbying visant à l’adoption de réglementations qui excluent les acteurs traditionnels ainsi qu’on le voit avec l’industrie semencière. Toutes ces pistes contribuent à injecter un supplément de matérialité dans des activités par ailleurs traditionnelles et à en accélérer la croissance matérielle.

Par contraste, pour l’actionnaire, le travail représente un coût. Il faut donc chercher à le minimiser en remplaçant le travail humain par de celui de robots ou de programmes informatiques qui sont le plus souvent moins chers.

En résumé, services et biens sont, dans la pratique, complètement interdépendants. La composante matérielle de ces biens-services est significative comme le montrent les statistiques de consommation. Le couplage étroit, relevé année après année, entre la consommation d’énergie et le PIB en donne une démonstration convaincante. Et la productivité ne cessant de croître, la répartition entre facteurs de production est modifiée, augmentation du capital et de la consommation d’énergie et diminution de l’emploi, amplifiant ainsi le dilemme : croissance économique ou chômage.


[1Glenn Parry, Linda Newnes, Xiaoxi Huang, « Goods, products and services », in Mairi Macintyre, Glenn Parry, Jannis Angelis (Eds), Service Design and Delivery, Springer, « Service Science : Research and Innovations in the Service Economy », 2011 , pp 19-29.

[2« Goods, products and services », op. cit.

[3« Goods, products and services », op. cit.

[4« Goods, products and services », op. cit.

[5Kestemont, B. (2011). La place du marché dans l’économie belge (croissance et décroissance). Autour de Tim Jackson. Inventer la prospérité sans croissance, 123-139.

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