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Économie non-violente
jeudi 28 mai 2015, par
Je n’avais jamais envisagé l’économie sous l’angle de la violence mais l’idée soutenue par Rajagopal m’a séduit et j’ai immédiatement fait le lien avec les travaux de QuelFutur.
Car avec la fin de l’énergie à volonté et la fin de la croissance économique qui s’en suit, les risques de confrontations et de guerres augmentent.
Dans ce contexte, une économie non violente et non rétrograde semble néanmoins possible. L’agroécologie ou l’âge des low tech le laissent deviner.
Cependant, une économie qui n’est contrôlée que par une partie de la société ne peut qu’être violente.
Replacer le contrôle de l’économie entre les mains de l’ensemble des groupes sociaux est donc une étape politique et juridique incontournable pour la transition vers une économie non violente. Autant qu’une démarche personnelle vers la simplicité, une action politique militante est nécessaire en vue d’adopter de nouvelles "règles du jeu" économique.
Ma réflexion ne prétend en aucun cas englober la totalité de la question. Ce n’est qu’un angle de vue et d’autres regards sont bien sûr indispensables. Loin de moi l’idée qu’il y ait une Vérité unique.
Les causes de la violence économique
Première cause de la violence,
La fin de l’énergie à volonté
Énergies fossiles plus énergies nucléaires plus énergies renouvelables, la production mondiale sature et ne permet plus une croissance pour tous.
- Non seulement les combustibles fossiles sont de plus en plus difficiles à extraire mais il faudra en laisser la plus grande part dans le sous-sol pour limiter le réchauffement climatique. Il ne sert donc plus à rien de chercher de nouveaux gisements !
- Quant aux techniques renouvelables, elles sont matures et efficaces. Il est cependant illusoire qu’elles puissent fournir des quantités comparables à celles obtenues à partir des combustibles fossiles.
-
Ce n’est pas tant la technique qui est en défaut ou que les ingénieurs qui sont des incapables, c’est tout simplement l’énormité de la quantité d’énergie aujourd’hui consommée dans le monde qui n’est plus tenable. Les annonces d’inventions magnifiques dont on entend parler tous les jours (le Solar Impulse [1], la batterie PowerWall de Tesla, etc.) ne sont que des nuages de fumée et des campagnes de marketing. Elles ne résolvent rien du tout.
De plus, la course à l’énergie mobilise une part croissante de l’activité humaine, au détriment d’autres activités pourtant vitales (comme l’alimentation, la santé, etc.).
Deuxième cause de violence, conséquence de la première,
La fin de la croissance pour tous
La croissance économique est inextricablement associée à la croissance de la consommation d’énergie ! Les illusions d’une diminution de la consommation d’énergie ou des émissions de CO2, que ce soit en Wallonie, en Belgique ou en Europe (au choix), sont dues à des déplacements des lieux de production, pas à des modifications du mode de vie des habitants.
Schématiquement, si la consommation globale d’énergie ne peut plus croître, l’économie globale ne peut plus croître. Et donc le PIB qui représente aussi bien la consommation des ménages que les revenus des ménages. La croissance pour certains ne peut plus se faire que par la décroissance pour d’autres. Les inégalités se renforcent, comme on l’observe d’ailleurs dans beaucoup de pays ainsi qu’au niveau mondial. Les sources de la violence sont bien là !
En 1972 déjà, à l’initiative du Club de Rome, le rapport sur les Limites de la Croissance donnait une idée claire de la dynamique de la croissance. Le scientifique Graham Turner confronte depuis longtemps les données de la réalité socio-économique avec celles du modèle du Monde de 1972. [2] Si le retournement de tendance prédit par les Limites de la Croissance n’apparaît pas encore irréfutable, Turner identifie néanmoins des indices significatifs.
Les données réelles correspondent assez bien au scénario business as usual du rapport.
- À droite, le taux de mortalité a cessé de décroître tandis que le taux de natalité continue à chuter ce qui conduit à un plafonnement de la population.
- Au centre, les productions par personne de nourriture et de biens industriels poursuivent leur croissance mais à un rythme moins soutenu. La production de services est plus diverse, selon que l’on prenne comme indicateur la consommation d’électricité ou les taux d’alphabétisation.
- À gauche, les ressources non renouvelables, s’épuisent progressivement et deviennent donc de plus en plus difficile à extraire de la nature. Une part croissante du capital physique (des terres et des machines) doit donc être mise à disposition de la production d’énergie, au détriment de la production alimentaire ou sanitaire. Turner considère que c’est bien ce phénomène qui est le principal facteur de retournement. On est ainsi frappé par l’exemple des terres mobilisées pour la production d’agrocarburants plutôt que pour la production de nourriture.
Les techniques économiques non violentes
Mais alors, comment échapper à la violence économique engendrée par un partage inéquitable de ressources devenues limitées ? De multiples techniques non violentes sont expérimentée et utilisée dans le monde. À titre d’exemple, j’évoquerai deux d’entr’elles.
L’agroécologie
Olivier de Schutter est un ambassadeur enthousiaste de cette agriculture qui préserve les sols (pour les cultures du futur) et qui n’est pas dépendante d’engrais ou de pesticides industriels, gros consommateurs d’énergie. Elle est cependant plus exigeante en travail humain que l’agriculture industrielle. Mais dans un contexte de chômage croissant, est-ce un inconvénient ? Beaucoup de petits producteurs, peu dépendants des intrants industriels, devraient pouvoir assurer la croissance de la richesse sociale et écologique.
L’âge des low tech
Repris du titre du livre de Philippe Bihouix, cet âge d’un futur désirable correspond à une très importante simplification de tous les systèmes techniques dont les sociétés sont aujourd’hui dépendantes. C’est l’âge des équipements simples, utiles, à longue durée de vie, aisément réparables. Et, comme le dit Bihouix,
En Occident, nous en avons beaucoup « sous le pied » avant de toucher les besoins fondamentaux. Nous pouvons drastiquement baisser notre consommation sans entamer grandement notre « confort ».
Cependant, comme personne ne souhaite retourner à l’âge des cavernes, il faudra bien faire un tri sévère dans les techniques pour n’en conserver que la partie réellement utile.
Ainsi, si l’automobile individuelle peut probablement disparaître de nos villes, le vélo devrait rester un mode de déplacement particulièrement apprécié. Mais qui dit vélo dit roulements-à-billes et donc dit aciérie et haut-fourneau. Il s’agit de technologies sophistiquées et il faudra trouver un moyen de les conserver.
Ainsi également, si beaucoup de médicaments sont probablement superflus, ceux qui par exemple ont permis d’éviter que beaucoup d’enfants ne décèdent en bas âge devraient être conservés. Une industrie pharmaceutique de qualité est donc probablement souhaitable.
L’idée du village totalement autarcique n’est pas vraiment de mise. Une économie non violente devra associer le local et le moins local, au gré des nécessités.
Enfin, pour les techniques non-violentes, il faut noter que la composante sociale est souvent plus importante que la composante strictement technologique ! La collaboration à tous les niveaux devrait primer sur la compétition.
Les obstacles sur le chemin de l’économie non violente
Mais si les méthodes existent, ou est le problème ? Pourquoi ne pas simplement généraliser ces méthodes tout de suite ? Quels sont les obstacles ?
L’économie, c’est l’ensemble de la production matérielle d’une société. Dans les pays développés, la quasi-totalité de la consommation matérielle passe par l’économie monétisée, c’est-à-dire acheter ou vendre. Dans un contexte de fin de croissance économique, pour éviter les conflits, une économie non-violente passe par un contrôle partagé de l’économie. Identifier clairement les groupes sociaux qui contrôlent l’économie et ceux qui en sont écartés est donc une question essentielle.
Le sociologue Colin Crouch propose par exemple le concept de société post-démocratique. Selon lui,
Une post-démocratie est une société qui possède et continue à utiliser toutes les institutions de la démocratie mais dans laquelle elles ne constituent plus qu’une enveloppe formelle. L’énergie et la force d’innovation quittent l’arène démocratique pour passer dans les mains d’une petite élite politico-économique.
Il ajoute :
Je ne dis pas que nous vivons dans une société post-démocratique, mais que nous nous dirigeons vers elle.
Plutôt que les États ou des groupes sociaux, ce sont en effet aujourd’hui les actionnaires des grandes compagnies (c’est-à-dire les propriétaires du capital) qui contrôlent, directement ou indirectement, l’ensemble de la production matérielle.
Parlant de l’agroécologie, Olivier De Schutter considère ainsi que « Les grandes compagnies s’opposent à l’agroécologie car elle fait diminuer leurs profits. »
Les low tech vont également à l’encontre des intérêts des actionnaires des grandes compagnies car elles restreindraient la production et les bénéfices et limiteraient les rêves de croissance exponentielle des investisseurs.
Le remède par les réformes institutionnelles
Comment surmonter cet obstacle ? Faut-il modifier les comportements ou réformer les institutions ?
Les comportements individuels, le rapport à la Nature, la quête d’une « bonne vie », sont certes des démarches essentielles. La simplicité volontaire ou les mouvements slow en sont des exemples bien connus.
Cependant, tout ne repose pas sur la bonne volonté des individus. Le "système économique", les institutions, les "règles du jeu" de la production matérielle, tout cela forme un cadre juridique et politique contraignant qui, dans sa forme actuelle, entrave le passage à une économie non-violente.
Faut-il donc changer les "règles du jeu" ? Sujet très délicat. Il s’agit d’une piste de réflexion qui demande cependant à être discutée en détail.
Comme le disent les auteurs de Refonder l’Entreprise :
En tant qu’institution sociale, l’entreprise est un « groupement humain tourné vers la production pour autrui ».
En ce sens, son pouvoir devrait s’exercer « dans l’intérêt de ceux qu’il affecte : les actionnaires certes, mais aussi les salariés et au-delà les collectivités vivant dans les territoire où les entreprises sont implantées. »
De son côté, Michel Aglietta affirme : [3]
Le pouvoir doit s’exercer au nom de la communauté que constitue l’entreprise. La séparation de la propriété et du contrôle « autonomise » la firme vis-à-vis des actionnaires. (...) La firme n’est pas un objet de propriété, mais une institution qui doit être gouvernée comme telle.
Les choix productifs des entreprises ont des incidences sociétales de grande envergure. Ils sont politiques.
La démocratie doit maintenant s’emparer des finalités des entreprises en totalité. Elle doit élaborer l’intérêt collectif qui légitime l’activité des entreprises.
Mais ces entreprises réformées sont elles réalistes ? Existe-t-il des exemples ?
Philippe Frémeaux le pense :
Dans un moment où les excès du capitalisme actionnarial font émerger le besoin d’une meilleure prise en compte des intérêts des différentes parties prenantes à la vie des entreprises (salariés, collectivités locales, etc.), beaucoup se tournent vers l’économie sociale et solidaire (ESS) pour trouver une réponse : les organisations de l’ESS n’ont en effet pas pour objectif de maximiser leur résultat mais, au contraire, de répondre aux besoins de leurs adhérents, associés ou sociétaires, et leur gouvernance se veut démocratique.
Pour une transition vers une économie non-violente, faut-il que l’ensemble des entreprises deviennent sociales et solidaires ? Que ce ne soit pas un choix mais une volonté du législateur ? C’est fort probable.
L’économie non-violente passe donc selon moi par une réforme profonde des institutions économiques. Une action politique de première importance devrait donc être menée pour porter cette réforme. Mais elle doit être précédée par un large débat public sans lequel une évolution de cette importance restera une pure utopie.
[1] Solar Impulse représente à coup sûr un exploit scientifique et humain. Il ne préfigure cependant en rien le transport aérien du futur.
[2] Turner, G. (2014). Is global collapse imminent. MSSI Research Paper, (4).
[3] Aglietta, M., & Reberioux, A. (2004). Du capitalisme financier au renouveau de la social-démocratie. Centre Saint-Gobain pour la recherche en économie.
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