- Paru dans "Vers l'Avenir" du 3 septembre 2005 -
Pour Joseph Martin, professeur émérite à l'UCL, la question n'est pas de savoir avec quoi on va rouler dans le futur mais comment ne va-t-on plus rouler ?
Joseph Martin, vous êtes professeur émérite à l'Université Catholique de Louvain et spécialisé dans le domaine de la thermodynamique. Pourquoi sommes-nous toujours aussi dépendants du pétrole ?
La première réponse, c'est qu'on pourrait rouler avec d'autres carburants si on pouvait les produire tels quels. Je prends l'exemple du colza, enfin de l'huile de colza estérifiée que l'on ajoute au diesel. Pour satisfaire les besoins des Belges, il faudrait... 7 fois la surface de notre pays. Pour l'alcool, le problème est le même. Les biocarburants ne peuvent pas répondre à la demande de masse. Si nous n'avons pas de substituts immédiats, c'est parce que notre pays n'est pas assez grand. La Belgique n'est qu'une grande ville.
Et un pays comme la France ?
Pour satisfaire tous les besoins de la population en pétrole, elle aurait besoin d'1,5 fois sa surface. Et encore, on postule qu'elle ne planterait uniquement que des plantes produisant des biocarburants ! A mon avis, ceux qui ont misé sur les biocarburants ont fait fausse route.
Que faire alors ?
Le problème n'est pas de se dire avec quoi va-t-on rouler dans un futur proche... mais comment va-t-on ne plus rouler ?
C'est-à-dire ?
Il est plus que temps de commencer à ne plus utiliser son automobile ou son camion car on ne va pas s'en sortir. Parce que les ressources se raréfient et qu'il n'y a pas de substituts, il va falloir se serrer la ceinture.
Pourtant, rien qu'en Belgique, il y a plus de 6 millions d'autos immatriculées...
Personne ne veut rouler moins. La conséquence, c'est qu'on va en arriver à un baril coûtant plus de 100 dollars. Il faudra débourser 2,5 euros pour un litre d'essence ou de gasoil de transport. Les gens ne sauront plus payer. Bref, cela va faire très mal. Cela fait vingt ans qu'on dit qu'il faut penser aux autres alternatives... la mobilité va conduire à l'immobilité.
Tout cela est bien négatif...
C'est clair, on va devoir rouler moins. Quant au chauffage, acheter des panneaux solaires va finalement être rentable. Il est tellement facile d'ouvrir le robinet de pétrole. Derrière le robinet, il y a une source qui se tarit, même en Arabie Saoudite. Et la spéculation n'explique pas le prix actuel du pétrole. Je crois bien que l'ère de l'automobile n'aura été qu'un point singulier de notre Histoire, qu'elle est amenée à disparaître.
Il reste tout de même l'électricité...
L'électricité ne peut être d'aucun recours sauf si on utilise le nucléaire pour recharger les batteries. Je ne parle pas de fusion mais de fission nucléaire. Mais ici aussi, cette énergie n'est pas disponible à l'infini. Nous sommes devenus beaucoup trop gourmands.
Quels conseils pouvez-vous nous donner ?
Empruntez les trains, les transports urbains marchant à l'électricité. Les pays qui ont arrêté leur programme nucléaire en matière énergétique vont se casser la figure. Sinon, le meilleur conseil est de réduire votre vitesse de 10 km/h, y compris dans les villes. Cela vous procurera une économie d'énergie de 10 à 15 %. Mon slogan est : roulez moins et plus sage.
En gros il faut rouler en bon père de famille...
Lors de la première hausse des prix du pétrole, en 1973, on avait ramené la vitesse à 100 à l'heure sur les autoroutes. Qu'on l'impose à nouveau aujourd'hui avec des amendes vraiment salées si on dépasse cette vitesse. Le hic, c'est que nous élisons des gens qui veulent faire plaisir à ceux qui les ont élus. Ils n'osent pas leur demander de ne plus toucher à leur auto car leur voiture, pensent-ils, c'est leur liberté. Pourtant, ils seront bientôt confrontés à une mesure coercitive : la cherté de l'essence.
Selon vous, quand les robinets seront-ils définitivement fermés ?
Il y a cinq ans, j'avais répondu 2020 mais je ne pouvais pas savoir que la Chine deviendrait aussi gourmande. Si, par un coup de baguette Magique, elle devient aussi développée que les pays de l'OCDE, avec le même modèle, il faudrait doubler la consommation. Or c'est physiquement impossible. Et qui a investi le premier en Chine ? Le secteur automobile... C'est malin, on s'étonne aujourd'hui que la Chine a besoin de pétrole ! Pour cette raison, la fin arrivera, à mon avis, encore plus tôt qu'en 2020.
Interview : Pierre NIZET
Et l'hydrogène ?
L'hydrogène peut-il être LA solution pour remplacer l'essence ? " Non, car il ne s'agit pas d'un combustible naturel. Il faut le produire et cela coûte cher ", estime Joseph Martin de l'UCL. " Dans l'état actuel des choses, c'est moins bon que les voitures fonctionnant avec des batteries car pour produire de l'hydrogène, cela coûte plus d'énergie que cela n'en rapporte ".