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Effet rebond
jeudi 3 novembre 2011, par
L’effet rebond exprime l’idée qu’une innovation visant à l’utilisation plus efficace d’une ressource, dans le but d’en réduire la consommation, entraîne habituellement une augmentation plus ou moins importante de la consommation globale de cette ressource. C’est le plus souvent la consommation d’énergie qui est concernée. Ainsi après une innovation qui rend un équipement plus efficace (voiture, machine à laver, lampe, etc.), une partie ou la totalité du gain potentiel que l’on pouvait attendre de cette innovation est annihilée suite à différentes augmentations de consommation résultant de mécanismes divers tant micro que macro-économiques.
Lorsque toutes les composantes de l’effet rebond sont prises en compte, son amplitude est importante et peut généralement surpasser les économies attendues. Ce dernier cas est connu sous le nom de postulat de Khazzoom-Brookes ou effet ’’retour de flamme’’.
Même si on ne peut pas rigoureusement démontrer que l’effet rebond soit d’une ampleur telle qu’il rende les politiques d’efficacité énergétique inefficaces, les indices sont nombreux et concordants pour montrer qu’il en est ainsi. Depuis plusieurs siècles, les formidables progrès en matière d’efficacité énergétique n’ont jamais empêché une croissance exponentielle de la consommation d’énergie. Reste aux partisans de la réduction de la consommation globale d’énergie par l’efficacité énergétique à démontrer la fausseté du postulat de K-B. L’espoir est mince.
Définition
Pour chaque amélioration de l’efficacité énergétique d’un équipement ou d’une machine de production, il est possible de calculer l’économie d’énergie qui résulterait d’un même usage de cet équipement ou de cette machine. Cependant, on constate pratiquement toujours que l’utilisation de cet équipement s’accroît peu à peu, pour diverses raisons, conduisant à augmenter la consommation globale d’énergie et diminuer ainsi l’économie d’énergie initialement prévue. De plus, l’économie réalisée à l’usage de cet équipement est réinvestie ailleurs dans l’économie, poussant à la hausse consommation d’énergie dans d’autres domaines. C’est cette perte d’une partie ou de la totalité de l’économie potentielle qui est appelée effet rebond.
L’effet rebond est la somme de toutes les augmentations de la consommation d’énergie résultant des différents mécanismes de rebond, lorsque ces augmentations sont agrégées pour tous les secteurs de l’économie, considérées au niveau macroéconomique, globalisées au niveau mondial et observées sur le très long terme.
Lorsque l’effet rebond est supérieur au gain théorique initial, on parle d’effet retour de flamme (backfire).
Historique
La paternité de l’effet rebond est généralement attribuée à Jevons, économiste anglais du XIXème siècle, qui a montré comment le remplacement de la machine à vapeur de Newcomen par celle de Watt, bien plus efficace, avait entraîné une hausse massive de l’usage de ces machines ce qui avait amené l’Angleterre à passer son pic du charbon.
Les économistes Daniel Brooks (en 1979) et Leonard Khazzoom (en 1980) ont indépendamment poursuivi l’étude de l’effet rebond pour arriver à la conclusion que l’on devait généralement s’attendre à une situation de ’’retour de flamme’’ (backfire). Cette conclusion a été nommée postulat de Khazzoom-Brookes par l’économiste étasunien Harry Saunders (en 1992).
Depuis lors, des études de plus en plus fouillées ont permis de commencer à percevoir l’ampleur du phénomène. Parmi les revues de la littérature scientifique sur ce sujet on proposera en référence celle du Breakthrough Institute [1], qui s’inscrit dans la ligne des précédentes revues de la littérature.
Mécanismes
La machinerie économique est un système complexe, avec de multiples rétroactions dont les effets peuvent être contre-intuitifs, une action engendrant des résultats inverses à ceux escomptés. Des mécanismes microéconomiques, tant directs qu’indirects, et des mécanismes macroéconomiques, c’est-à-dire relevant de l’économie dans son ensemble, sont à l’origine de l’effet rebond. Dans la littérature scientifique, la dimension de l’effet rebond est constamment revue à la hausse par la mise en évidence de nouveaux mécanismes. « La tendance générale est qu’au fur et à mesure du développement de l’analyse, tant en étendue qu’en complexité, des effets plus importants sont découverts et l’écart se comble entre l’ampleur de l’effet rebond mesuré par les études empiriques et les modélisations analytiques détaillées d’une part et l’effet rebond à grande échelle (ou effet de ’’retour de flamme’’) prédit par la théorie économique d’autre part. » (Jenkins et al., 2011)
Effets microéconomiques
Ces effets sont liés au comportement du consommateur et/ou du producteur, en réaction à l’utilisation d’un nouvel équipement, plus efficace que celui qu’il remplace. Il peut s’agir d’un appareil qui rend un service au consommateur ou d’un équipement de production dans le cas du producteur.
Effets directs
Les effets directs sont des réponses du consommateur et/ou producteur à la baisse de prix implicite d’un service entraînée par la diminution de la quantité d’énergie nécessaire à rendre ce service en raison d’une amélioration de son efficacité énergétique. On distingue :
- L’effet d’usage qui est une augmentation de l’usage d’un équipement suite à une diminution de son coût d’utilisation. Par exemple, un usage plus important de l’éclairage suite à l’adoption d’ampoules économiques.
- L’effet de substitution d’un usage par un autre suite à l’adoption d’un équipement plus économe pour ce second usage. Par exemple, certains trajets en train sont remplacés par des trajets en voiture après l’achat d’une voiture plus efficace.
Effets indirects
- L’effet d’énergie grise prend en compte l’énergie nécessaire à la production et à l’installation d’un nouvel équipement moins énergétivore. Cet effet est d’autant plus prononcé que des équipements sont plus rapidement remplacés pour cause d’obsolescence technologique.
- L’effet de revenu considère que l’économie réalisée sur la facture énergétique à la suite de l’utilisation d’un équipement plus efficace sera redépensée ou réinvestie dans d’autres biens et services. Par exemple dans un mini-trip grâce à l’économie annuelle réalisée sur la facture d’électricité.
Effets macroéconomiques
Ces effets portent sur l’économie dans son ensemble et ne sont perceptibles qu’à ce niveau.
- L’effet de prix consiste en une baisse du prix d’une ressource énergétique, au niveau global, par suite de la diminution instantanée de la consommation de cette ressource entraînée par une amélioration de l’efficacité énergétique. En réponse à cette baisse de prix, un nouvel équilibre de l’offre et de la demande doit être trouvé par une augmentation de la demande de la ressource énergétique.
- L’effet de structure consiste en une modification de la structure de l’économie en faveur des secteurs intensifs en énergie lorsque ces derniers améliorent leur efficacité énergétique. Par exemple des vacances à la mer ou à la campagne sont progressivement remplacée par des vacances plus lointaines grâce à une aviation plus efficace.
- L’effet de croissance économique est un effet de stimulation générale de l’économie. Des outils de production plus efficaces entraînent une augmentation de la production, des revenus et de la consommation.
- L’effet multi-factoriel car l’amélioration de l’efficacité énergétique d’un équipement est rarement une innovation "pure". Elle est généralement l’occasion d’améliorer la productivité d’autres facteurs de production qui permettra une croissance supplémentaire de la consommation/production.
- L’effet de frontière considère que l’apparition de technologies plus efficace peut faire parfois tomber des barrières à la croissance et ouvrir de nouveaux champs pour la production/consommation de biens et de services. Il en a été ainsi pour la machine de Watt, l’électricité, la fibre optique, etc.
Investigations quantitatives
Le débat contemporain sur l’effet rebond a été lancé à la suite des travaux de Brookes et Khazzoom qui contestèrent que les estimations purement techniques réalisées jusqu’àlors soient représentatives de l’effet rebond dans toutes ses composantes macroéconomiques. La simple agrégation des modifications du comportement individuel, faisant suite à des améliorations de l’efficacité énergétique de divers équipements, ne recouvre pas la totalité du champ d’action de l’effet rebond et n’en représente probablement même pas la plus grande part. Différentes investigations furent alors entreprises pour tenter de confirmer ou d’infirmer les arguments de Brookes, Khazzoom et des théoriciens qui se sont ultérieurement penchés sur la question.
Ces différents efforts pour évaluer quantitativement l’importance réelle de l’effet rebond ont montré, en général, que l’ampleur de l’effet rebond est d’autant plus élevée qu’est élevé le niveau d’analyse (du micro au macro-économique), le nombre de facteurs pris en compte (effets de moins en moins directs), la taille de l’économie considérée (du national au mondial) et la longueur du terme pris en compte (le long et très long terme). Avec chacun de ces développements de l’ampleur de l’analyse, l’effet rebond mis en évidence devient plus important, conduisant au retour de flamme.
- Mesure des effets directs. Différentes études [2] sur l’évolution du comportement individuel en réponse à des progrès de l’efficacité énergétique, principalement tournées vers le consommateur final dans les économies développées ont montré que les effets rebond directs restaient assez modestes dans les économies développées, de l’ordre de 10 à 30%, mais probablement nettement plus importants, jusqu’à 60% et au-delà, dans les économies en développement. Ces investigations complexes, exigeant beaucoup de données, sont plus difficiles à réaliser pour les secteurs productifs et dans les économies en développement.
- Analyse des tendances historiques. Certaines tentatives d’évaluation macroéconomique comparent la consommation historique d’énergie à ce qu’elle aurait été si l’activité économique s’était développée comme elle l’a fait en réalité mais qu’aucun progrès d’efficacité énergétique n’ait été réalisé sur la même période. Cette approche est méthodologiquement très contestable tant il semble évident que l’évolution du niveau d’activité économique est lié à celle de l’efficacité énergétique. Pourtant, c’est ce type d’approche qui a été utilisé par l’Agence Internationale de l’Énergie [3] et repris par le groupe III du GIEC [4]. D’autres efforts de modélisation ont également été entrepris. Des modèles d’équilibre général et des modèles intégratifs, qui combinent les modèles micro et macroéconomiques, ont été développés. S’ils montrent des ampleurs plus importantes des effets rebonds, ils aboutissent à une grande variétés de résultats, allant de 15% à 350%.
- Échelle d’analyse. Les modèles montrent que si l’analyse porte sur un seul pays les effets rebonds sont moins importants que lorsqu’elle est faite à l’échelle mondiale car le rebond enregistré dans un pays a une influence sur le marché mondial (prix,etc.). Ces modèles montrent également que les rebonds peuvent s’effectuer lentement, prenant de plus en plus d’ampleur avec le temps et les décennies.
Théories
Il est très difficile si pas pratiquement impossible de tirer toutes les conséquences macroéconomiques des améliorations de l’efficacité énergétique. Or, c’est à ce niveau, dans une perspective mondiale et dans le long terme que ces effets prennent toute leur importance.
- Théorie classique : Tous les économistes classiques notent qu’une amélioration de l’efficacité dans l’utilisation d’une ressource (input) conduit à une augmentation de la production (output) plutôt qu’à une réduction globale de l’utilisation de la ressource.
- Théorie néoclassique : Ces théories de la croissance prédisent des effets rebond importants ou des effets "retour de flamme" concernant la demande en énergie en réponse à des progrès de l’efficacité énergétique. [5]
Débat
Il y a d’une part ceux qui considèrent que l’effet rebond peut ne pas être très important : les environnementalistes, les écologistes et les politiques qui voient dans l’augmentation de l’efficacité énergétique un moyen de réduire la consommation d’énergie en réponse à des préoccupations environnementales.
Et il y a d’autre part les macro-économistes qui analysent la machinerie économique dans son ensemble et sont familiers avec les théories de la croissance dans une situation de marché qui. Les théories de la croissance, toutes tendances confondues (néoclassique, écologique, etc.), montrent que l’innovation technologique est une source de croissance économique, ce qui correspond parfaitement à des effets rebond ou des retours de flamme.
Impacts
La prise en compte de l’effet rebond peut avoir des conséquences non négligeables voire majeures dans différents domaines.
Énergies renouvelables
Chaque fois qu’une nouvelle éolienne est mise en service, les annonces fleurissent quant aux nombre de milliers de tonnes de CO2 qui seront ainsi évitées (non émises) chaque année. Et il en est de même pour bien d’autres systèmes de collecte des énergies renouvelables. Cet espoir résulte d’un calcul simple basé sur l’hypothèse que l’énergie renouvelable ainsi produite entraînera une réduction correspondante de la consommation de combustibles fossiles. Mais cela est-il bien vrai ? Cette énergie nouvelle ne va-t-elle pas tous simplement se rajouter à l’ensemble, permettant à la croissance économique et matérielle de se poursuivre ?
Les mécanismes de l’effet rebond vont ici aussi se mettre en action. L’électricité supplémentaire produite par la nouvelle éolienne va peser à la baisse sur le prix de l’électricité qui à son tour fera croître la consommation d’électricité (effet de prix). Le développement de l’industrie éolienne est une composante importante de la "croissance verte" (effet de croissance). Etc.
Scénarios énergétiques
Bien des scénarios énergétiques ne tiennent aucun compte de l’effet rebond. Ces scénarios sont entachés d’une faute méthodologique lourde : sans aucune raison pertinente, ils traitent différemment le passé et le futur, ne prenant en compte l’amélioration de l’efficacité énergétique que pour le futur. Depuis trois siècles, l’efficacité énergétique a pourtant fait des progrès immenses, plus importants que ce qui reste encore possible en termes absolus – que l’on songe à la machine de Watt par exemple. Et pourtant, la consommation globale d’énergie n’en a jamais été diminuée, elle n’a fait qu’augmenter, comme on peut s’y attendre dans une économie de marché sans limitation exogène des ressources énergétiques.
Le scénario ci-contre [6] indique un retournement de tendance dans la demande totale d’énergie à partir de 2020 et cela malgré l’augmentation de la population. Il ne serait dû, selon les auteurs, qu’au recyclage et à l’amélioration de l’efficacité énergétique dans tous les domaines. La main invisible du marché aurait-elle vraiment ce pouvoir ?
Le principal inconvénient de ces scénarios est qu’ils endorment les opinions publiques, fonctionnant comme un anesthésiant sur la société dans son ensemble. Ces scénarios laissent penser que la technologie et la volonté politique de les mettre en œuvre suffisent pour qu’ils se réalisent et apportent une solution simple à l’urgence climatique. On peut cependant comprendre que les ONG environnementales ne puisse pas proposer ou défendre des scénarios qui risqueraient de déplaire à leurs membres et préfèrent ceux qui ne dépendraient de la technologie et de la volonté politique de la mettre en œuvre.
Références
[1] Jesse Jenkins, Ted Nordhaus and Michael Schellenberger. Rebound & backfire : a review of the litterature, The Breakthrough Institute, February 2011.
[2] Lorna Greening, David L. Greene and Carmen Difiglio, Energy efficiency and consumption - the rebound effect - a survey, Energy Policy, 28(6-7) : 389-401. 2000.
[3] International Energy Agency, How the energy sector can deliver on a climate agreement in Copenhagen, OECD/IEA, October 2009.
[4] Intergovernmental Panel on Climate Change, Contribution of Working Group III to the Fourth Assessment Report, Cambridge University Press, Cambridge, UK, 2007.
[5] Harry D. Saunders, A view from the macro side : rebound, backfire, and Khazzoom-Brookes, Energy Policy, 28(6-7) : 439-49, 2000.
[6] Yvonne Deng, Stijn Cornelissen, Sebastian Klaus et al., The Ecofys Energy Scenario, Greenpeace, Décembre 2010.
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