- Paru dans "La Libre" du 11 mai 2007 (version
légèrement modifiée) -
- Repris dans la revue "Nieuwsbrief Cogen Vlaanderen" de
septembre 2007 -
Pour atténuer les émissions de CO2 dans l'atmosphère, il est de plus en plus souvent question de piéger le CO2 et de l'enfouir dans des couches géologiques étanches ou de le confier aux abysses océanes. On parle de PSC ou piégeage et stockage du carbone.
La combustion d'une tonne de pétrole génère plus de 3 tonnes de CO2. En effet, la composition chimique du pétrole est du type CnH2n soit deux atomes d'hydrogène pour un atome de carbone. Cet atome de carbone produira une molécule de CO2 de masse molaire 44 pour une masse molaire de pétrole de 14. Or 44 sur 14 c'est un peu plus de 3. Donc pour chaque tonne de pétrole extraite, il faut enfouir plus de 3 tonnes de CO2. Le raisonnement est analogue pour le charbon et le gaz naturel.
Par conséquent, si l'on recherche une diminution significative des émissions de CO2, les quantités à enfouir seront astronomiques. Par exemple, l'Europe des 15 consomme annuellement plus de un milliard de tonnes de combustibles fossiles qui engendrent plus de 3 milliards de tonnes de CO2. Pour la planète Terre, on est à plus de 8 milliards de tonnes annuelles de carbone engendrant plus de 24 milliards de tonnes de CO2. Autrement dit encore, chaque être humain consomme chaque année près de 1,5 tonnes de carbone produisant 4,5 tonnes de CO2. En moyenne, et avec d'importantes disparités.
Pour mettre ce plan en exécution il faut d'abord "capturer" le CO2, ensuite le comprimer, le transporter et finalement l'injecter à l'endroit choisi.
La capture consiste à séparer le CO2 des autres gaz sans quoi les quantités à ensevelir seraient trop importantes. Pour "capturer" ce gaz, il existe trois techniques principales :
Dans les trois cas, il y a une consommation d'énergie importante pour isoler puis comprimer le CO2. Cette consommation supplémentaire d'énergie (on parle d'"autoconsommation") représente 15% à 40% de l'énergie primaire du combustibles et elle génère une quantité correspondante de CO2 ce qui constitue le premier inconvénient de la technique.
Les géologues estiment qu'il existe une énorme capacité de stockage géologique, correspondant à plusieurs décennies d'utilisation des combustibles fossiles. Il n'en reste pas moins que les quantités à séquestrer représentent plus de trois fois la quantité de combustible fossile extrait. Il n'est pas moins vrai que, si on vise à séquestrer une part significative de nos émissions de CO2, les quantités à mettre en jeu sont faramineuses. Il s'agit d'une modification significative à l'échelle de la planète. Sommes nous certains que cela soit anodin. N'avons-nous pas déjà connu des projets qui modifiaient significativement des régions de la planète et qui ont eu des conséquences imprévues et négatives ?
Le CO2 qui aura été séquestré présentera toujours le risque de s'échapper dans l'atmosphère où il participera alors à l'effet de serre. Le risque dépend de deux facteurs : la probabilité d'une fuite et la quantité de CO2 séquestrée.
Seul le stockage dans les anciens puits de pétrole ou de gaz et dans les formations salines est actuellement pris en considération par les spécialistes car ils estiment que le risque de fuite y est faible.
Il n'empêche, si ce type de stockage est effectué à très grande échelle, la géologie de la croûte terrestre en sera modifiée pour les générations futures. Deux siècles de consommation accélérée des combustibles fossiles auront engendré un risque pour la nuit des temps. Ce sont les générations futures qui devront supporter les risques qu'elles n'auraient peut-être pas choisis. Il y a là un problème d'éthique digne d'intérêt.
Bien que l'étude de cet effet ne relève pas de notre domaine d'expertise, nous ne pouvons pas le passer sous silence. L'effet rebond a été maintes fois observé et étudié. Il s'agit du constat empirique que l'avantage apporté par tout progrès technologique améliorant l'efficacité d'un processus est rapidement contrebalancé par l'augmentation de l'utilisation que provoque cette amélioration technologique. "Ainsi, alors que les progrès énergétiques réalisés sur les moteurs, et mesurés en grammes de carburant par kWh fourni, ont permis de réduire de plus de 30 % la consommation spécifique en 10 ans, particulièrement en diesel, tous ces gains sont réduits, voire « absorbés » par l'augmentation des masses et des puissances installées et par l'usage" (Annales des Mines, novembre 2003, Jean Delsay). Sans parler de l'accroissement constant tant du parc automobile que du nombre de kilomètres parcourus par chaque véhicule.
Dans le cas de la séquestration du carbone, les populations et les gouvernements, soulagés à l'idée que, grâce à la séquestration du carbone, les problèmes de gaz à effet de serre seraient atténués, relâcheraient leurs efforts visant à diminuer la consommation mondiale d'énergie, ce qui se traduirait par une augmentation de la consommation des combustibles fossiles. Et comme on le constate très souvent, cette augmentation serait supérieure à la quantité de carbone qui aura été séquestrée.
Selon nous, la simple évocation des possibilités offertes par la séquestration du carbone provoquera une augmentation de la consommation de combustibles fossiles qui annihilera dès le départ tous les éventuels bienfaits de cette séquestration. En effet, puisqu'on a une solution pour préserver la planète des gaz à effet de serre, pourquoi encore se préoccuper d'économiser les combustibles fossiles ?
Selon nous, il n'est pas du tout certain que la promotion de cette technologie ait finalement un effet favorable sur la teneur en CO2 de l'atmosphère :
Et il faut bien admettre qu'après avoir utilisé cette technologie pendant quelques décennies, au bout desquelles les combustibles fossiles seront épuisés, il faudra quand même trouver d'autres solutions à nos problèmes énergétiques.
Par contre, il est certain que cette technologie présente une opportunité de marché pour ceux qui seront amenés à la mettre en oeuvre, mais aussi (surtout ?) pour les secteurs industriels et financiers qui ont intérêt à maintenir la consommation de combustibles fossiles à un niveau élevé. La mise en oeuvre de cette technologie est aussi un moyen pour certains décideurs politique d'aujourd'hui de passer à l'action sans risquer déplaire à leurs électeurs.
ORMEE
2007