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"Carte blanche" parue dans "Le Soir" du 2 mars 2006
en réaction à celle de Jeremy Rifkin du 22 février (voir texte)

L'hydrogène
ou le rêve de M. Rifkin

Nous pourrions nous passer des combustibles fossiles - pour préserver notre planète - et du nucléaire - pour en éviter les dangers - tout en maintenant notre mode de développement actuel (automobile, croissance économique, etc.). Telle est la thèse développée par Jeremy Rifkin dans une Carte blanche publiée dans Le Soir du 22 février. Et comment se nomme notre sauveur ? Hydrogène. Tout simplement !

Il s'agit malheureusement d'une illusion, potentiellement lourde de conséquences. Oui, il faudra faire des choix difficiles entre combustibles fossiles, énergie nucléaire et sobriété énergétique. Affirmer le contraire, c'est conduire nos contemporains de difficultés en catastrophes. Dans un futur prévisible, l’énergie renouvelable ne pourra jouer dans ce défi qu’un rôle relativement modeste au regard de la consommation actuelle et de l'augmentation constante de celle-ci.

En aucun cas l’hydrogène ne peut être une réponse au problème mondial d’approvisionnement d’énergie, car il n’existe pas à l’état natif (non combiné) dans la nature. Bien sûr, l’hydrogène est, avec l'oxygène, un constituant de l'eau, mais pour l'en extraire, il faut beaucoup d'énergie. Une partie seulement de celle-ci sera disponible dans l'hydrogène produit, le reste sera irrémédiablement perdu. Il faut et il faudra toujours une plus grande quantité d'énergie pour extraire l'hydrogène de l'eau que celle qui sera produite lors de son utilisation, dans une pile à combustible par exemple. C'est la conséquence d'une loi universelle de la physique.

L'hydrogène est également présent, toujours lié à d'autres constituants, dans les combustibles fossiles mais, encore une fois, pour l'en extraire, il faudra consommer une quantité notable de l'énergie fossile.

L'hydrogène, c'est comme l'électricité, un intermédiaire entre les énergies primaires (fossiles, nucléaire, ou renouvelables) et la consommation finale d'énergie. On peut établir des comparaisons entre ces deux « vecteurs » d'énergie, en termes d'efficacité de production, de sécurité d'utilisation ou de facilité de stockage. L'avenir nous dira pour quels usages l'un ou l'autre, électricité ou hydrogène, sera préféré. Mais ni l'un ni l'autre ne sont une source primaire d'énergie.

Peut-on produire de l'hydrogène à partir d'énergie renouvelable ? Bien sûr, mais en quantités très limitées. Il faudrait couvrir plusieurs fois la surface de la Belgique en éoliennes et en champs de cultures appropriées, pour produire des quantités significatives d'hydrogène qui répondraient, entre autres, à la demande en carburant routier. Cet aspect quantitatif du problème est systématiquement occulté par les promoteurs de l'hydrogène. Il est pourtant essentiel. Cette limitation est inhérente aux énergies renouvelables. Elle s'applique également à la production de biocarburants ou d'électricité verte. Seules des centrales nucléaires, en nombre suffisant, pourraient produire localement des quantités importantes d'hydrogène, mais au détriment de la production d'électricité.

Il reste vrai que la pile à combustible représente une technologie thermodynamiquement attrayante. Qu'elle soit à hydrogène, au méthanol, ou à autre chose d'ailleurs. Il est bien possible que des petites piles à combustibles fassent leur apparition dans nos nouveaux appareils portables.

Il y aurait des avantages indéniables. Cependant, considérer ce développement technologique particulier comme une réponse adéquate aux problèmes mondiaux d'approvisionnement en énergie est une tromperie qui serait risible, si elle ne risquait de pousser les décideurs politiques sur des voies sans issues.

Il n'y a pas de doute, entre sobriété énergétique, combustibles fossiles et énergie nucléaire, il va falloir poser des choix, établir des priorités.

Prof. Hervé Jeanmart,
Prof. Ralph Lescroart,
Prof. Joseph Martin,
Ir. Louis Possoz,
Prof. Pierre Wauters.


Un petit pas pour l'hydrogène, un grand pas vers une nouvelle ère énergétique

Nous sommes à douze ou dix-huit mois du début d'une nouvelle ère énergétique commerciale qui va changer le monde. Nous devons nous préparer à tirer parti de son plein potentiel rapidement. Les raisons en sont évidentes.

Nous vivons aujourd'hui le réchauffement climatique en temps réel. Les prix de l'énergie planent à 67 dollars le baril ; et l'économie globale commence à s'essouffler alors que producteurs et consommateurs se serrent la ceinture en anticipant des prix pétroliers encore plus élevés dans les mois et les années qui viennent.

Il est évident que la race humaine a désespérément besoin d'une stratégie de sortie de l'ère pétrolière afin de garantir l'avenir de la civilisation. Cependant, les entreprises géantes actives dans le domaine de l'énergie et les producteurs d'électricité continuent comme si de rien n'était - business as usual - consacrant peu de temps et de moyens à la recherche de nouvelles énergies alternatives soutenables.

Pire encore, un grand nombre de leaders politiques retombent dans l'erreur d'une ère énergétique passée, en envisageant la résurrection de l'énergie nucléaire ou en se reposant de plus en plus sur le charbon, les sables bitumineux et le pétrole lourd - toutes des sources d'énergie sales émettant du dioxyde de carbone.

Alors que les politiques sont dans l'impasse et que les experts se tordent les mains de désespoir, une révolution énergétique commerciale se profile sur le marché global, et, virtuellement, personne ne le sait a l'exception que quelques rares insiders dans l'industrie.

Bienvenue dans le monde de la pile a hydrogène portable, qui va révolutionner la manière dont nous concevons l'énergie, organisons son commerce et structurons les relations politiques et sociales, comme l'on fait le moteur à vapeur au charbon au XIXe siècle et le moteur à combustion interne au XXe.

Hitachi, Toshiba, Samsung, Canon, Sanyo, Sony, Panasonic, NEC, Mitsubishi, Fujitsu, Sharp et Olympus font la course vers le marché avec de petites piles à hydrogène qui remplaceront les batteries traditionnelles et fourniront une énergie portable pour les ordinateurs portables, téléphones cellulaires, les agendas électroniques, les lecteurs MP3, les lecteurs de DVD portables, les ordinateurs de poche, les jeux vidéo et les caméras digitales.

Les astronautes font fonctionner leurs vaisseaux spatiaux au moyen de piles à hydrogène hightech depuis près de trente ans. Le grand avantage de la pile à hydrogène, c'est qu'elle est non polluante : elle n'émet que de l'eau et de la chaleur. En réalité, les astronautes utilisent l'eau potable émise par les piles à hydrogène comme principale source d'approvisionnement en eau.

La première génération de piles à hydrogène fonctionnait principalement au méthanol, l'hydrogène étant extrait du méthanol pour alimenter la pile à combustible et produire de l'électricité. Si l'essentiel du méthanol est produit au départ du gaz naturel et du charbon, les sources renouvelables de méthanol vont devenir, grâce aux nouvelles avancées technologiques, une alternative économique viable. Le méthanol renouvelable est, de plus en plus, extrait du méthane issu de la biométhanisation, de la betterave sucrière, de la paille de riz...

Il faut insister sur le fait que l'hydrogène n'est pas disponible en tant que tel, mais doit être extrait d'autres sources. Or, extraire l'hydrogène des combustibles fossiles ne fait que prolonger la dépendance à l'égard des anciennes sources d'énergie, tandis que l'extraction de l'hydrogène directement de la biomasse ou l'utilisation d'autres énergies renouvelables - solaire, éolienne, hydraulique et géothermique - pour produire de l'électricité et ensuite électrolyser l'eau pour obtenir l'hydrogène annonce l'ère de l'« hydrogène vert ».

Les premières piles à hydrogène seront en vente en 2007. Avec cette nouvelle source d'énergie, les ordinateurs pourront fonctionner des jours durant, alors qu'avec la technologie existante la batterie ne fonctionne que quelques heures avant de devoir être rechargée. Un iPod pourra fonctionner jusqu'à 80 heures. La pile à hydrogène possède 20 à 30 fois la capacité de stockage de l'énergie d'une batterie et coûtera environ deux à trois dollars la pièce quand on pourra bénéficier des économies d'échelle globales. Il ne faut pas s'étonner que les entreprises électroniques globales sont avides d'être les premières sur le marché. Le potentiel commercial est énorme.

Les piles à hydrogène constituent la technologie de rupture dont une génération d'utilisateurs des technologies de la communication de plus en plus connectés ont besoin pour être autonomes et très mobiles. L'apparition simultanée des technologies électroniques mobiles et de la pile à hydrogène est l'ouverture longtemps attendue vers une nouvelle ère énergétique et une troisième révolution industrielle dont l'effet multiplicateur économique fera sentir ses effets jusque dans la deuxième moitié du XXIe siècle et au-delà.

Qu'est-ce qui suivra la convergence des technologies électroniques mobiles et de la pile à hydrogène ? Soyez attentifs aux véhicules à deux et trois roues fonctionnant à l'hydrogène. Une entreprise allemande, Masterflex AG, a mis au point la première génération de bicyclettes et de véhicules à trois roues fonctionnant grâce a une pile à hydrogène et commencera à les tester sur les routes cette année.

Avec une autonomie de 250 kilomètres - une distance bien plus grande que celle que peut parcourir un vélo électrique standard sans être rechargé - et capable d'atteindre 25 kilomètres à l'heure, les véhicules à deux et trois roues fonctionnant à l'hydrogène pourront devenir un moyen de transport alternatif bon marché et non polluant pour des millions de gens dans le monde.

Une entreprise américaine, Mahattan Scientifics, prépare ses véhicules pour le marché qui bourgeonne en Asie, où des millions de gens utilisent le vélo et le scooter comme principaux moyens de transport. On s'attend à ce que l'hydrogène soit disponible comme combustible dans les magasins de cycles en Chine dans un futur prévisible.

Entre-temps, tous les grands constructeurs automobiles développent des voitures, des camions et des bus a hydrogène. Les voitures et les bus sont testés en Europe, en Amérique du Nord et au Japon. Selon Toyota, Honda et GM, les premiers véhicules seront dans les show-rooms automobiles en quantités limitées entre 2010 et 2012.

Des entreprises industrielles et de services commencent à installer des systèmes à piles à combustible pour suppléer aux besoins électriques en période de consommation de pointe, quand le prix de l'électricité sur le réseau est très élevé, ou quand le réseau ne peut suivre une explosion de la demande.

En 2002, lors du « black-out » électrique dans le nord-est et le centre des Etats-Unis, quand New York fut plongé dans le noir, un nouveau gratte-ciel de Times Square est resté complètement éclairé, parce qu'un système à piles à combustible avait été intégré à son infrastructure. L'entreprise allemande, Linde AG, en a récemment installé un dans l'aéroport de Munich.

Nous sommes à l'aube d'une troisième révolution industrielle et d'une nouvelle ère énergétique. L'hydrogène est notre avenir commun. La question est de savoir si nous l'atteindrons à temps pour sauver la planète, protéger les créatures qui la peuplent et préserver l'avenir de notre propre espèce.

Jeremy Rifkin
Président de la Foundation on Economic Trends, professeur à Wharton,
il nous gratifie, à date régulière, de son regard acéré sur l'actualité.
Il a notamment publié « L'économie hydrogène » (La Découverte, 2002).

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