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Énergie à la consommation
samedi 2 mai 2015, par
La meilleure manière de se faire une idée correcte de la dépendance énergétique d’un État consiste à regarder la quantité totale d’énergie qui a été utilisée pour produire tout ce que ses habitants consomment. Car c’est bien cette consommation d’énergie qui permet de supporter leur mode de vie. Cependant, cette évaluation est moins simple qu’il n’y paraît. Il faut identifier la totalité des biens (et services) achetés par les ménages, directement et indirectement, tout compris, puis déterminer la quantité d’énergie qui a été nécessaire pour produire l’ensemble de ces biens (et services). Il s’agit donc d’une comptabilité énergétique à la consommation, différente de la comptabilité à la production habituellement utilisée dans les statistiques nationales et internationales.
S’il est assez facile de comptabiliser l’énergie consommée par un ménage sous forme de carburant, de combustible et d’électricité, il est nettement plus complexe d’évaluer la consommation d’énergie implicite à l’achat de tel ou tel produit ou équipement. Cette énergie implicite est couramment dénommée énergie grise ou, en anglais, embedded energy. Sur le graphique, l’énergie grise est figurée par le trait rouge superposé au trait bleu qui figure le produit consommé. Même l’énergie consommée par un ménage, sous forme d’électricité ou de carburant par exemple, possède également un contenu également en énergie grise, celle qui a été inévitablement consommée dans la centrale électrique ou dans la raffinerie lors du processus de transformation.
Pour évaluer correctement l’énergie à la consommation d’un produit, il est nécessaire d’évaluer son contenu en énergie grise ce qui nécessite de suivre toutes les étapes dans la transformation progressive du produit, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à l’emballage et au transport final. On sait les trajets complexes que suivent les produits dans l’économie. Pour les analyser à un certain niveau de détail, il faut constituer une (énorme) base de données qui contient tous les flux des produits intermédiaires entre les différentes entreprises qui effectuent les différentes étapes de la transformation. C’est cet énorme travail dans lequel s’est lancé GTAP (Global Trade Analysis Project). En raison de la complexité du travail et d’un certain manque d’intérêt politique, la base de données du projet GTAP n’est remise à jour que tous les 5 ans.
Pratiquement, le monde est divisé en un certain nombre de régions, correspondant le plus souvent à des pays, et en différents secteurs industriels. On obtient ainsi un grand nombre de "pseudo producteurs", un pour chaque secteur de chaque région. Dans la version 2007, GTAP considérait ainsi 129 régions et 57 secteurs industriels soit au maximum 7 353 pseudo producteurs.
D’une part chaque pseudo producteur consomme de l’énergie et d’autre part il utilise des produits intermédiaires issus d’autres pseudo producteurs, produits intermédiaires qui possèdent chacun un certain contenu en énergie grise.
En additionnant toutes ces énergies, on connaît l’énergie totale utilisée par ce pseudo producteur. À la sortie, le pseudo producteur vend des produits intermédiaires à d’autres pseudo producteurs et des produits finaux à des consommateurs habitant telle ou telle région du monde. L’énergie totale utilisée par le pseudo producteur peut ainsi être répartie en énergie grise entre les produits qu’il a vendus. Au total, on construit donc un tableau de 7 353 ligne et 7 353 colonnes dont chaque élément représente la quantité échangée entre les deux pseudo producteurs. En y associant la consommation d’énergie de chaque pseudo producteur et sa vente de produits finaux aux habitants des différentes régions, on obtient alors une image complète de la circulation d’énergie dans l’économie. On en déduit directement la quantité d’énergie consommée par les habitants de chaque région sous forme d’énergie grise.
Le processus est complexe et, même s’il est nettement supérieur à une comptabilité à la production, il reste relativement imparfait.
- D’un côté, le nombre de secteurs considérés est assez faible et range donc dans un même secteur des produits assez différents, aux contenus en énergie grise assez différents. Par exemple, une aciérie traitant du minerais de fer utilise un haut-fourneau tandis qu’une aciérie traitant de la ferraille n’utilise qu’un four électrique, consommant au total nettement moins d’énergie.
- D’un autre côté, les différentes sources d’énergie sont considérée comme équivalentes alors qu’à l’usage leur potentiel peut être assez différent. Ainsi par exemple, la même quantité d’énergie permet de produire plus d’électricité si elle est sous forme de gaz, dans une centrale à cycle combiné, que si elle est sous forme de charbon.
Comme les émissions de CO2 sont liées aux consommations de combustibles fossiles, le procédé ci-dessus permet d’affecter correctement les émissions de CO2 liées à l’énergie [1]. En première approximation, on peut considérer que plus de 80% de l’énergie consommée l’est sous forme de combustibles fossiles qui génèrent 3,67 tonnes de CO2 par tonne d’équivalent carbone. Les émissions ainsi déterminées diffèrent sensiblement de celles annoncées par les pays et montrent que, loin d’avoir diminué par rapport à 1995, les émissions de la plupart des pays développés n’ont pas cessé de croître. Mais cette réalité est politiquement déplaisante.
[1] Davis, S. J., & Caldeira, K. (2010). Consumption-based accounting of CO2 emissions. Proceedings of the National Academy of Sciences, 107(12), 5687-5692.
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