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La recherche scientifique en question
dimanche 25 mai 2014, par , , ,
Quel rôle pour la recherche d’aujourd’hui ?
Les sujets de recherche retenus dans nos Universités et Instituts ne sont-ils pas excessivement univoques ? Ne labourent-ils pas pratiquement tous le même sillon, celui de l’indispensable développement technico-économique, basé sur la conviction que la poursuite d’une croissance exponentielle constitue la seule voie d’avenir pour les sociétés et l’humanité ? Il nous semble que la quasi-totalité des plans de recherche, au moins en sciences dites dures et en économie orthodoxe, soient tournés vers l’innovation technologique, conçue comme la seule réponse aux crises environnementales, économiques et sociales.
Pourtant, bien des indices laissent à penser que cet objectif de croissance pourrait être intenable. Étant donné les contraintes environnementales et énergétiques (et en particulier les pics du pétrole et du gaz), le contexte général dans lequel vont évoluer nos sociétés dans les prochaines décennies pourrait bien être celui de la décroissance économique. Dans cette hypothèse, il y aurait lieu de s’intéresser aux systèmes d’organisation des sociétés et aux formes institutionnelles qui seraient compatibles avec la non-croissance économique, voire, dans les pays les plus développés, avec une certaine décroissance. Dans le souci de laisser les différentes options ouvertes au choix politique, la recherche universitaire devrait davantage développer une réflexion plurielle. D’une part, plutôt que de toujours promettre la lune, la recherche devrait aussi poursuivre l’étude des contraintes environnementales, techniques, économiques et sociales, celles que le citoyen constate pourtant tous les jours. D’autre part, la recherche devrait contribuer à proposer des formes d’organisation des sociétés qui seraient adaptées à ces contraintes (plutôt que de les nier) tant dans leurs aspects techniques qu’économiques et institutionnels.
On peut difficilement reprocher aux décideurs politiques de suivre obstinément une politique qui mène à l’impasse si le monde académique, les chercheurs et les intellectuels ne proposent pas de stratégies nouvelles pour l’action politique, qui soient autre chose que des discours vertueux mais soient suffisamment concrètes pour être mises en œuvre par un gouvernement. Par contre, on peut reprocher au monde politique de ne pas encourager cette pluralité de recherches, de ne susciter et financer, pour l’essentiel, que les recherches du premier type. Le principe de précaution devrait pourtant conduire à une forte valorisation des recherches du second type, celles sur les limites et sur les moyens de s’en accommoder.
Dans son état actuel, l’enseignement et la recherche en Communauté française sont profondément déséquilibrés. Il est par exemple surprenant qu’il n’y ait pratiquement aucun enseignement de l’économie écologique [1] en Wallonie. Il est également frappant que la quasi totalité des recherches en sciences appliquées (dont les mémoires et les thèses) mettent en évidence les bienfaits de telle ou telle technique étudiée, en quoi elle représente un réel progrès pour la société et une opportunité pour l’économie, sans esprit très critique sur ses supposés bienfaits ni sur ses limites. Pratiquement aucune n’examine les limites théoriques ou pratiques de ces technologies dans l’économie réelle. Pratiquement aucune n’examine les effets pervers, sur la société et sur l’environnement, d’une adoption massive de ces diverses améliorations ou innovations. On en a encore eu récemment un exemple parlant avec les agrocarburants. [2]
On comprend bien la raison de ce déficit, les recherches critiques ne semblent pas porteuses d’avenir (dont celui de la carrière professionnelle). Il n’y a pas beaucoup de « demande », ni publique ni privée, pour une approche critique des technologies ou de l’économie. Cependant, l’éthique de la recherche d’une part et les interrogations légitimes des politiques et des citoyens d’autre part devraient contribuer à rétablir un certain équilibre.
[1] Courant des sciences économiques qui prend en compte les limites physiques dans ses modèles.
[2] « Le Parlement européen met un frein aux biocarburants », Le Nouvel Observateur du 11/9/2013.