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Que penser des éoliennes terrestres ?

lundi 16 mars 2009, par Louis Possoz

Les éoliennes ont le vent en poupe ! Et pourtant, différentes interrogations font parfois douter qu’il s’agisse réellement d’une bonne idée.

  • Que se passe-t-il quand il n’y a pas de vent ?
  • Les éoliennes off-shore sont-elles meilleures ?
  • Les éoliennes produisent-elles du CO2 ?
  • Danemark et charbon, un paradoxe ?
  • Ne gâchent-elles pas le paysage ? Et font-elles du bruit ?
  • Qu’en conclure ?

Avant d’examiner ces différents points un à un, reprécisons en le contexte. Le réchauffement climatique et l’épuisement des combustibles fossiles obscurcissent l’horizon de plus en plus lourdement et de plus en plus rapidement. Progressivement privés de combustibles fossiles, il faudra se replier sur des énergies renouvelables (limitées), sur l’efficacité énergétique et ... sur une bonne dose sobriété énergétique, même en maintenant une part d’énergie nucléaire.

  Éoliennes terrestres

  Intermittence du vent

Le vent ne souffle pas tout le temps avec la même force, c’est une source intermittente d’énergie. On parle aussi parfois "d’énergie fatale" au sens qu’elle ne dépend pas de notre volonté.

Une éolienne terrestre correctement installée tourne en moyenne 3 jours sur 4 et produit alors de l’énergie. Cependant comme la vitesse du vent est variable, elle travaille souvent à puissance partielle, ce qui fait qu’au total elle produit la même quantité d’électricité que ce qu’elle produirait si elle tournait à sa pleine puissance pendant environ un quart du temps, soit un peu plus de 2.000 heures sur les 8.760 que compte une année. En résumé, une éolienne tourne souvent mais ne produit des quantités d’énergie importantes qu’environ un quart du temps.

Certains utilisent ce phénomène pour affirmer que cela oblige à faire tourner des centrales au charbon (ou au gaz) les trois autres quarts du temps. Cette vision est inexacte et particulièrement traditionaliste. Ainsi RTE, le régulateur du réseau électrique français, dans son Bilan Prévisionnel 2007, explique que " malgré l’intermittence du vent, l’installation d’éoliennes réduit les besoins en équipements thermiques nécessaires pour assurer le niveau de sécurité d’approvisionnement souhaité. On peut en ce sens parler de puissance substituée par les éoliennes ".

Résoudre les questions de l’intégration des sources intermittentes d’énergie électrique dans la gestion du réseau électrique est une préoccupation tout à fait d’actualité. Les départements de génie électrique de beaucoup d’universités dans le monde se penchent sur ces questions (le laboratoire L2EP à Lille par exemple) et les organisations internationales commencent à se penchent de plus en plus sérieusement sur cette question. Par exemple, l’Union Européenne a démarré son projet SmartGrids en 2005.

Un spécialiste de ces questions, Walt Patterson, a récemment publié Keeping the lights on, ouvrage sur le sujet qui trace différentes pistes pour l’avenir. Il relève en particulier que l’on s’achemine d’un réseau électrique composé d’une multitude de consommateurs face à un nombre limité de gros producteurs vers un réseau où il y aura aussi une multitude de petits producteurs d’électricité.

Envisageons brièvement quelques unes des principales pistes de qui permettent de résoudre ce problème d’intermittence en examinant aussi bien le côté de la production que ceux du stockage et de la demande d’électricité.

Graphique journalier de prévision et de consommation
Prévision - Consommation
RTE

Tout d’abord, il faut rappeler que la demande d’électricité varie constamment, selon la saison et le moment de la journée. Ainsi, la puissance instantanée du réseau interconnecté européen, coordonné par l’UCTE, évolue entre un minimum de 150 gigawatts (GW) et un maximum de 300 gigawatts. Les gestionnaires du réseau doivent donc en permanence veiller à ce que la production suive cette demande fluctuante. Ils y arrivent surtout en réalisant des prévisions extrêmement fouillées de la demande d’électricité pour les prochains jours. De plus, ils doivent s’assurer du maintien en veille de certaines unités de production pour pallier de soudains incidents de production ce qui, libéralisation oblige, entraîne une rémunération pour le producteur qui met ainsi son unité à disposition sans pour autant pouvoir vendre de l’électricité.

  Une production éolienne moins erratique

D’une part, il n’y a pas le même vent partout en Europe. Quand certaines éoliennes sont au ralenti ou à l’arrêt, d’autres produisent beaucoup. On parle de foisonnement. Ainsi, dans le même rapport précité, RTE, explique encore que " la décorrélation des vitesses de vent est quasi totale entre la zone Méditerranée et la zone Manche ", zones correspondant à une division de la France selon une ligne Bordeaux-Strasbourg. Cependant, le transport de l’électricité entre les zones nécessite une interconnection suffisante des réseaux électriques.

D’autre part, les prévisions météorologiques, de plus en plus fiables grâce à la puissance croissante des ordinateurs utilisés, permettent de tenir compte de plus en plus finement du parc éolien dans les décisions du gestionnaire de réseau qui doit sans arrêt faire face à des variations de la demande d’électricité, comme on peut également l’observer sur le site d’Elia, régulateur du réseau belge.

  Les autres producteurs d’électricité

La souplesse de fonctionnement des centrales hydroélectriques à réservoir (barrages) en fait un partenaire privilégié des énergies intermittentes aussi bien que pour assurer une réponse rapide à des incidents sur le réseau.

Comme les centrales au gaz ou au charbon actuelles, les centrales thermiques à biomasse (incinération de déchets, biométhanisation, etc.) participeront elles aussi de plus en plus à l’équilibre du réseau électrique.

L’éolien n’est pas la seule énergie intermittente, le photovoltaïque est également une source d’électricité qui varie constamment.

  Stockage de l’électricité

L’énergie électrique se stocke difficilement et en faible quantité. Cependant on utilise depuis longtemps le pompage-turbinage pour remonter (pomper) l’eau dans les barrages quand il y a trop d’électricité et pour l’utiliser (turbiner) quand il en manque. C’est le cas par exemple à Coo en Belgique ou à Grand’Maison en France. On utilise couramment cette technique lorsqu’il y a trop d’électricité nucléaire la nuit. On le fera bien sûr également pour les éoliennes si à un moment il y a trop de vent. Le rendement global d’une telle opération peut atteindre 75 %.

Il existe déjà quelques centrales électriques qui stockent l’énergie excédentaire sous forme d’air comprimé (CAES). Des recherches portent sur un "stockage adiabatique", dont le rendement pourrait être également assez élevé.

Il y a encore bien d’autres systèmes de stockage à l’étude, beaucoup s’attachent à répondre à de courtes fluctuations de production d’électricité.

  Consommation (demande)

Quand il n’y avait pas de vent, les marins patientaient et le meunier se reposait. Aujourd’hui la "modernité" nous impose le "tout, tout de suite". Il est évident que les sources d’énergie faciles s’épuisant (pétrole, gaz et charbon), on fera progressivement appel à une certaine mesure de consommation souple c’est à dire celle qui s’adapte à la disponibilité d’électricité et bénéficie pour cela d’une réduction de prix substantielle. Aujourd’hui, cette possibilité est offerte aux industriels mais on l’envisage pour les particuliers et cela se pratique déjà dans certaines régions.

De nouvelles initiatives sont en cours pour permettre aux ménages de mieux surveiller leur consommation d’énergie, comme le projet "PowerMeter" lancé par une grosse société de l’internet. Il s’appuie sur des compteurs capables de transmettre automatiquement leurs données. Comme cela a déjà été montré, la visualisation de ces données par les utilisateurs les amènent souvent à réduire leur consommation. Dans un second temps, les données de prix pourraient être communiquées à des appareils domestiques dotés d’un système de communication analogue, qui pourront alors adapter leur fonctionnement à la disponibilité d’énergie électrique sur le réseau. La question de savoir si ce système de transmission d’informations privées doit être gérée par le public ou le privé est un autre débat.

  Éoliennes marines

Malgré les difficultés, des éoliennes marines arrimées sur des hauts-fonds des marges continentales commencent à voir le jour. On envisage même vaguement (c’est la cas de le dire) d’en installer en haute mer, dans une version flottante, un peu comme les plates-formes de forage en eaux profondes.

Le vent en mer étant plus soutenu qu’à terre, une éolienne marine produira plus d’énergie qu’une éolienne terrestre de même puissance. Les éoliennes marines fournissent une quantité d’énergie correspondant à leur fonctionnement à pleine puissance pendant un tiers du temps (environ 3.000 heures par an), produisant ainsi 3 gigawattheures (GWh) par mégawatt (MW) de puissance installée.

Cependant, comme on peut aisément l’imaginer, installer une éolienne en mer est beaucoup plus compliqué. Il en résulte qu’il faut plus d’énergie pour ce supplément de matériel et d’efforts. D’autre part, ces éoliennes étant beaucoup plus éloignées des réseaux électriques et des consommateurs, le transport de l’électricité est lui aussi nettement plus compliqué, d’autant plus qu’il s’agit de cables sous-marins. Enfin, l’entretien ou le dépannage d’une éolienne terrestre est beaucoup plus simple que celui d’une éolienne marine.

Les avantages d’un vent plus soutenu pour les éoliennes marines sont donc contrebalancés par une plus grande consommation d’énergie pour la fabrication, l’installation et l’entretien. Toujours est-il que les deux types d’éoliennes ont toute leur place dans le parc de production électrique en développement.

  CO2 et éoliennes

On entend dire parfois que les éoliennes émettent du CO2 et sont donc nocives pour l’environnement.

S’il s’agit du CO2 émis par les centrales thermiques qui sont censées être la seule solution pour produire de l’électricité pendant les 3/4 du temps (!), quand il n’y a pas assez de vent, nous avons déjà amplement examiné cette critique à propos de l’intermittence.

Par contre, la fabrication et l’installation d’une éolienne consomme évidemment de l’énergie, comme pour tous les types de centrales électriques d’ailleurs. Cette énergie, qui a été nécessaire à la fabrication des toutes les parties de l’éolienne, à son assemblage et à son érection, est souvent dénommée "énergie grise", "embedded energy" en anglais. Et, tant que les combustibles fossiles représenteront une grande part de l’énergie consommée dans le monde, les industries continueront à émettre du CO2.

Dans l’état actuel de la technologie, l’énergie grise d’une éolienne correspond à 6 à 9 mois de sa production d’énergie. Il faut donc 6 à 9 mois pour qu’une éolienne "rembourse sa dette" d’énergie.
Évolution des différentes production d’électrique au Danemark

Production d’électricité au Danemark
(chiffres Eurostat)
Louis Possoz

  Le Danemark et le charbon

On entend souvent dire que des pays qui ont beaucoup d’éoliennes, comme le Danemark, sont justement ceux qui émettent le plus CO2. Sous-entendu : à cause de l’éolien il faut augmenter la production des centrales électriques au charbon.

Le graphique de droite indique que la production totale d’électricité du Danemark a presque toujours été supérieure à sa consommation totale d’électricité - elle-même en croissance légère mais constante - ce pays étant exportateur d’électricité. Au début des années 1990’, l’électricité y était presque exclusivement produite dans des centrales au charbon. Par la suite, le Danemark a poursuivi une politique de diversification, augmentant d’abord la part des centrales au fuel (temporairement) et au gaz, puis en développant la production éolienne et, dans une moindre mesure, celle des centrales à biomasse. Ainsi, la part du charbon dans la production de l’électricité a pu être nettement réduite.

Le lien de causalité est donc le suivant : c’est parce que le Danemark était très dépendant du charbon, avec les émissions de CO2 associées, qu’il a été, plus qu’un autre pays, amené à développer fortement son éolien (parmi d’autres mesures), ce qui a eu un effet globalement bénéfique sur ses émissions.

  Esthétique

Les goûts et les couleurs... Certains aiment les pylônes électriques, d’autres détestent la Tour Eiffel, les clochers de village ou les éoliennes. Tous les goûts sont dans la nature dit-on. Cependant, il est souvent arrivé qu’une nouveauté qui a inspiré bien des quolibets et du mépris au moment de son apparition a ensuite été admirée et louée quelques années plus tard. Les exemples de cette évolution abondent dans l’histoire.

On ne peut que regretter que les projets éoliens ne fassent pas plus souvent appel à des artistes. Il est certain qu’ils auraient bien des choses à nous faire voir.

Quant au bruit produit par les éoliennes, le plus simple est de se rendre compte par soi-même. Il se trouve assez d’éoliennes récentes pour ne pas se priver de cette expérimentation instructive.

  En guise de conclusion

Si nous souhaitons encore consommer de l’électricité (un peu) dans les toutes prochaines décennies, il faudra la produire avec les ressources renouvelables dont nous disposerons alors : hydraulique, solaire, éolien, biomasse et, si la société en décide ainsi, nucléaire. Chacune de ces ressources renouvelables offre un potentiel limité et présente certains inconvénients. Il n’en reste pas moins que la technologie éolienne est une technologie aujourd’hui mature et qu’il serait curieux de s’en passer, sur terre ou en mer.

L’éolien terrestre est une technologie tout à fait adaptée aux réseaux électriques du 21e siècle. Sans lui, la consommation d’électricité devra être encore plus réduite.

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