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Couplage économie - énergie

samedi 3 septembre 2022, par Louis Possoz

Derniers constats :

Toute activité économique dépend de l’énergie. Loin d’être un facteur de production secondaire, l’énergie est à la base de toute production, elle est le carburant de la machinerie économique, le seul facteur de production totalement indispensable. Sans énergie, il n’y a pas de vie et donc pas d’activité. Croissance de l’économie et croissance de la consommation d’énergie ont toujours été de pair. Pour pouvoir "relancer" l’économie, c’est-à-dire pour pouvoir augmenter la production, la consommation et les revenus, il faut disposer d’un supplément d’énergie. Dit autrement, avec moins d’énergie il y aura moins d’activité économique. Et si, comme cela semble bien être le cas, la production mondiale d’énergie ne parvient plus à croître significativement – et elle est même probablement amenée à décroître – l’économie s’en ressentira forcément. Les pays développés seront en première ligne, obligés de modérer leur consommation en raison de la volonté de croissance des pays en développement dont le niveau de consommation (et de revenus) reste bien inférieur.

PIB mondial versus consommation mondiale d’énergie
Sources : World Bank (PIB) ; British Petroleum (Énergie)
Louis Possoz

Le couplage entre consommation d’énergie et activité économique (mesurée par le PIB  ) constitue un élément essentiel pour l’appréciation des politiques économiques et sociales futures. En effet, il permettra de faire la distinction entre celles qui seront matériellement possibles et celles qui resteront de simples incantations. Et l’on doit malheureusement constater que les idées qui font actuellement flores sur la scène politique et dans les médias appartiennent plutôt à la seconde catégorie [1].

L’antonyme du couplage, le découplage, est un mot avancé dans bien des débats politiques et environnementaux. Il peut s’agir d’un découplage relatif ou d’un découplage absolu. Le découplage est relatif lorsque la croissance de la consommation d’énergie est moins forte que celle de l’économie. Par exemple, une croissance de l’économie de 3 % par an avec une croissance de la consommation d’énergie de seulement 2 %. Plus optimiste est le découplage absolu, qui permettrait de faire croître l’économie tout en faisant décroître la consommation d’énergie. Le rêve !

Dans certains cénacles, le découplage (absolu) est présenté comme une véritable voie de progrès qui permettrait, en théorie, de continuer à bénéficier des bienfaits de la croissance sans en subir les inconvénients. Cependant cette recette, totalement magique, ne résiste pas longtemps, ni à l’analyse physique ni à l’analyse historique.

 Couplage physique

D’un point de vue économique, produire, c’est transformer certains produits, les inputs, trouvés dans la nature ou acquis sur le marché, pour fabriquer d’autres produits, de plus grande valeur, les outputs. Par cette transformation, ils acquièrent une valeur ajoutée. Il n’y a aucune production sans transformation. [2]

L’énergie est la grandeur physique qui mesure les changements d’état de la matière, c’est-à-dire les transformations de la matière. Pour fondre, scier, couper, plier, combiner chimiquement, soulever ou accélérer, il faut mettre en œuvre de l’énergie. Sans énergie, la matière reste inerte, elle ne saurait se modifier ou se transformer. L’importance de la transformation est exactement égale à la quantité d’énergie mise en jeu, du moins lorsque la transformation a été parfaitement efficace. Il est d’usage de dénommer énergie grise cette énergie de transformation parfaite qui se retrouve en quelque sorte contenue dans le produit après la transformation.

À l’efficacité de transformation près, c’est bien l’énergie utilisée qui fait la valeur ajoutée, ce qui n’empêche pas le capital et le travail d’être des facteurs de production nécessaires. Pour mettre de l’énergie en œuvre, il faut généralement des machines et un organisateur de la mise en place et du contrôle de la production. Sans machines, les possibilités de production resteraient beaucoup plus faibles et plus lentes. La machine à vapeur de Watt a été un exemple tout-à-fait majeur de ce rôle joué par les machines pour le progrès et la croissance économique. Elle a provoqué une explosion de l’activité productive en Angleterre mais a aussi fait exploser la consommation de charbon ainsi que l’a relevé Stanley Jevons dans The Coal Question. En un mot, comme mis en évidence par l’ensemble des théories économiques, le progrès a sans cesse permis d’imaginer de nouveaux outils qui ont permis de mettre en œuvre des quantités croissantes d’énergie, afin de produire des quantités croissantes de valeur ajoutée, et donc d’assurer la croissance du PIB  .

Ainsi, même si la question des progrès d’efficacité énergétique encore possibles doit être examinée avec soin, on peut déjà s’attendre à ce que l’observation des faits confirme peu ou prou la théorie.

 Couplage historique

Le couplage entre économie et énergie apparaît clairement lorsque l’on examine les chiffres des 6 dernières décennies. L’analyse des données historiques montre que le couplage entre l’économie (le PIB  ) et l’énergie (la consommation d’énergie) est très solide et que les deux croissances vont de pair. Le graphique présenté illustre l’évolution du lien entre le PIB   mondial et la consommation mondiale d’énergie.

La droite en rouge est une régression à travers l’ensemble des points. Ne passant pas par l’origine mais à sa droite, elle indique que le rapport entre PIB   et énergie se modifie progressivement : le PIB   augmente plus rapidement que la consommation mondiale d’énergie. En observant le graphique plus en détail on peut repérer des périodes de léger découplage relatif. À partir des années 80’, les hausses des prix du pétrole dénommées chocs pétroliers ont entraîné un effort technique important pour améliorer l’efficacité énergétique des grands processus industriels : production d’électricité, sidérurgie, industries cimentières, etc.. Après l’effondrement de l’Union Soviétique, durant les années 90’, la disparition ou la mise à niveau d’industries énergétiquement peu efficaces dans l’ensemble de l’ex bloc soviétique a entraîné une nouvelle vague d’améliorations de l’efficacité énergétique. Mais il s’est alors agit d’un rattrapage technologique, d’une mise à niveau des outils de production dans cette région du monde.

Aujourd’hui, à cause de la mondialisation et de la concentration des industries entre les mains de quelques grands groupes, on peut estimer, en première approximation, que les outils industriels sont relativement homogènes de par le monde et correspondent à la meilleure efficacité économique. Lorsqu’il n’en est pas ainsi, les unités de production considérées comme techniquement obsolètes sont tout simplement fermées et les ouvriers souvent licenciés. Aujourd’hui, avec les restrictions sur la disponibilité d’énergie, les industriels continuent à "resserrer les boulons". Cependant, les gains d’efficacité énergétique sont de plus en plus faibles, en accord avec l’analyse technique des grands processus industriels de production, dont l’efficacité énergétique approche aujourd’hui les limites physiques. Et pourtant, que de budgets ont été consacrés à la recherche dans ces matières depuis la signature du protocole de Kyoto (1997), tant par les gouvernements que par les entreprises. Tout cet argent a-t-il été dépensé à bon escient ?

Un découplage futur qui ne soit pas anecdotique étant fort peu probable, c’est dans ce contexte de lien robuste entre énergie et économie que toute réflexion économique ou politique devrait être menée. On peut même penser que l’effet des légers gains futurs d’efficacité seront plus qu’annihilés par les pertes d’efficacité prévisibles dans le domaine de l’extraction des ressources énergétiques à partir de la nature. En effet, en parfait accord avec le principe des rendements décroissants de l’économie classique, les sources d’énergies les plus aisées ont été utilisées en priorité, depuis bien longtemps. Le temps du pétrole qui jaillit spontanément du sous-sol est révolu. Aujourd’hui il faut aller le chercher dans des conditions toujours plus difficiles et plus risquées. Ce que les spécialistes appellent le retour d’énergie sur l’investissement d’énergie décroît constamment. Il faut consommer de plus en plus d’énergie pour extraire l’énergie de la nature. Le constat vaut bien sûr pour toutes les formes d’énergie, on commence par utiliser ce qui est le plus facile, ce qui coûte le moins cher, c’est-à-dire ce qui consomme le moins d’énergie.

 Implications

Cette correspondance assez solide implique que pour assurer un certain niveau de PIB  , c’est-à-dire un certain niveau de production, de consommation ou de revenus, car les 3 s’équivalent, il faut une quantité d’énergie relativement bien définie.

En dollars constants 2015, ce rapport peut être calculé pour différentes unités d’énergie :

  • 146 $ / GJ
  • 6.096 $ / tonne d’équivalent pétrole
  • 853 $ / baril équivalent

Chaque baril de pétrole permet donc de produire 853 $ de biens ou, dit autrement, d’assurer 853 $ de revenus. Le prix du baril de pétrole est donc contraint par cette relation, il ne saurait trop s’approcher du revenu qu’il permet d’obtenir. On retrouve ici le concept d’EROEI (taux de retour énergétique) des géologues.

On tient peut-être ici une explication, au moins partielle, de l’évolution du prix du pétrole. Lorsque celui-ci devient trop élevé par rapport aux revenus qu’il permet d’obtenir, une partie de la demande s’efface et le prix finit par retomber. L’expérience des crises économiques à la suite d’un baril nettement au-delà de 100 $ (à $ constants) semble indiquer que le prix du pétrole ne peut pas durablement représenter plus de 20% des revenus qu’il permet d’obtenir. Cela correspond à un taux de retour de 5. Intéressant !

 L’indicateur PIB  

De nombreux auteurs ont souligné l’inadaptation de l’indicateur PIB   à mesurer le bien-être des populations. Cet indicateur peut croître alors que le bien-être est en baisse. Catastrophes, pollutions ou guerres entraînent des réactions politiques qui font croître le PIB   alors qu’elles diminuent le bien-etre.

Par contre, en raison du "couplage", le PIB  , qui mesure l’activité économique, est un excellent indicateur des impacts environnementaux, et pas seulement des impacts climatiques. L’avantage principal de l’indicateur PIB   est qu’il est publié très rapidement alors que la mesure des différents impacts environnementaux demande des années de travail. Il s’agit donc d’un indicateur précurseur particulièrement utile pour anticiper les conséquences de l’activité économique.

 Conclusion

L’enseignement à tirer de ce couplage très solide entre énergie et économie est assez simple même s’il peut apparaître parfois comme choquant à tout qui est peu familier avec la physique et les techniques de l’énergie. Pour avoir plus d’économie (une croissance du PIB  ), il faut plus d’énergie. Et, puisque la disponibilité mondiale d’énergie a atteint aujourd’hui un maximum qui ne sera pas sérieusement dépassé, il faut s’attendre à une stagnation globale de la consommation d’énergie et donc du PIB   mondial. De plus, comme on peut penser que des pays émergents vont continuer à utiliser leurs avantages comparatifs pour s’assurer une certaine croissance, il faut s’attendre à ce que les pays développés connaissent une décroissance prolongée.

Faut-il alors être pessimiste ? Pas du tout ! Un nouveau monde reste tout à fait envisageable dans un contexte de décroissance économique globale, jusqu’à un niveau naturellement soutenable, sans plus dépendre des combustibles fossiles. Un monde différent mais dans lequel l’être humain pourrait être tout aussi heureux qu’aujourd’hui ! Et même encore plus heureux lorsqu’il sera déchargé de l’angoisse permanente des menaces environnementales et climatiques.


[1Voir par exemple les exhortations de Adair Turner : « Les faibles coûts d’une économie zéro carbone ».

[2Un transport de marchandises est aussi une transformation qui consomme de l’énergie.

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