(et sans charbon ni gaz naturel...)
Pour échapper aux changements climatiques engendrés par l'utilisation massive des combustibles fossiles, mais aussi en raison de l'épuisement inéluctable de ces combustibles, accumulés dans les entrailles de la Terre durant des centaines de millions d'années, beaucoup s'accordent à considérer les énergies renouvelables comme le substitut énergétique de premier choix.
Mais, comme nous le verrons ici, cela ne suffira pas et des solutions moins faciles devront également être envisagées.
Certains voient dans les énergies nucléaires le complément le plus adéquat et le plus réaliste.
D'autres proposent une judicieuse association d'efficacité et de sobriété énergétique, que l'on rassemble parfois aussi sous le terme de "négawatts", c'est-à-dire d'énergie dont on se passe, celle que l'on ne consomme pas.
D'autres encore, pour atténuer l'effet sur le climat, envisagent la séquestration du carbone c'est-à-dire l'enfouissement, pour toujours (?), du CO2 dans des couches géologiques.
Et pour corser le tout, il faudra encore parler de la croissance économique qui, pour l'instant, est généralement considérée dans les milieux économiques, financiers et politiques comme un élément parfaitement indispensable au bien-être collectif et qui ne saurait être remise en question, quelle que soit la gravité des problèmes qu'elle a créés.
Cette page propose une démarche concrète et quantifiée pour comparer ces différentes voies. Toutes les remarques et suggestions sur notre démarche sont bienvenues. Notre objectif n'est pas de défendre telle ou telle opinion personnelle mais bien de rassembler des observations, des faits et de dégager le consensus de la communauté scientifique travaillant sur les questions d'énergie, ingénieurs et physiciens. Notre objectif est de mettre à la disposition des économistes, des politiques et, surtout, des citoyens, les informations de base qui alimenteront leur réflexion et les aideront à poser les choix de société indispensables.
Par quoi pourrions-nous remplacer les combustibles fossiles ?
Les énergie renouvelables. Nous nous fixerons des objectifs ambitieux en regard de la consommation actuelle d'énergie primaire dans Europe des 15. On envisagera un développement maximaliste :
Tout compris, on obtient ainsi un quart de la consommation actuelle d'énergie.
L'énergie nucléaire. Si l'on ne peut se résoudre à diminuer la consommation d'énergie, la seule possibilité pour produire les trois quarts restants sans combustibles fossiles consisterait à créer une centrale nucléaire par million d'habitants (centrale de quatre réacteurs).
La croissance économique. Si la croissance de la consommation d'énergie liée à la croissance économique se poursuit, il faudra périodiquement doubler le nombre de centrales nucléaires, ce qui sera en pratique impossible.
Dans cette page, notre principale unité d'énergie sera le kilogramme d'équivalent pétrole par jour et par personne (kep/j/p). D'autre part, comme dans les chapitres précédents, notre analyse portera essentiellement sur l'Europe des 15, pour différentes raisons de taille, d'homogénéité et de statistiques.
Toutes les énergies renouvelables, à l'exception de la géothermie et de l'énergie des marées, sont des transformations plus ou moins immédiates de l'énergie du rayonnement solaire reçu par la Terre. Elles comprennent l'énergie hydraulique, la biomasse, l'énergie solaire, l'énergie du vent, de la houle et des courants.
Quelle pourrait être, au grand maximum, la contribution de chacune d'elles à l'approvisionnement en énergie de l'Europe (des 15) ? Pour chaque forme d'énergie renouvelable, nous choisirons une méthode d'estimation qui soit à la fois simple, robuste et facile à vérifier. Il s'agit bien entendu d'une simulation et chacun est libre de modifier les scénarios adoptés selon ses propres estimations.
Si le potentiel en énergie hydraulique dans certaines parties du monde n'est encore qu'assez partiellement exploité, comme le montre la carte ci-dessous, il n'en est pas de même en Europe. Une longue et très ancienne tradition, largement amplifiée tout au long de l'ère industrielle, n'a laissé que très peu de potentialités inexploitées. Et ces ressources inexploitées sont généralement de petite taille, en hauteur ou en débit, et ne pourront apporter qu'un complément limité à la production actuelle. D'autre part, la technologie du turbinage hydraulique est aujourd'hui mature. Son rendement, qui dépasse couramment 90%, ne pourra plus guère être amélioré. Malgré ces remarques, notre scénario maximaliste envisage une croissance de 25%. Ainsi, la production d'énergie hydraulique passerait ainsi de 0,20 à 0,25 kep/j/p. Par comparaison, l'UE envisage une croissance de 15% de la puissance installée d'ici 2030, essentiellement dans la "petite hydraulique" (petits cours d'eau et petites chutes).
L'énergie de la biomasse est utilisée par l'homme depuis la nuit des temps et elle constitue, encore aujourd'hui, une ressource importante dans toutes les régions du monde. En Europe, l'énergie accumulée dans les végétaux terrestres dépend du rendement de la photosynthèse. Elle représente environ 0,5% de l'énergie solaire atteignant une surface de terrain couverte de végétation.
Concernant la biomasse, se fixer un objectif est complexe. Les filières pour la production d'énergie à partir de la biomasse sont très nombreuses :
Or, dans tous les cas, il s'agit au départ d'énergie solaire, stockée dans des végétaux grâce à la photosynthèse. Plutôt qu'une analyse par filière, il est plus simple et globalement plus fiable de se fixer une valeur pour les deux paramètres principaux que sont :
En Europe, la productivité en biomasse sèche (qui, conventionnellement, contient encore 20% d'humidité) dépasse rarement les 10 tonnes par hectare et par an. De plus, le contenu énergétique (PCI) d'une tonne de biomasse sèche est bien inférieur à celui d'une tep. Dix tonnes de biomasse sèche correspondent à peu près à 4 tep, soit une division par 2,5 approximativement.
De plus, cette biomasse est brute et convient très peu à un usage direct. Il faudra généralement la transformer en une matière plus facilement exploitable par des équipements de production d'électricité ou de locomotion (combustibles, biocarburants...). Dans le bilan énergétique, il faut donc non seulement décompter l'énergie pour la culture mais, surtout, pour les intrants (engrais et pesticides) et pour la transformation de la biomasse brute en carburant ou combustible. Dans le cas des biocarburants par exemple, l'énergie résiduelle nette va, selon les études et les chercheurs, de 1 tep/ha/an, au maximum, à pratiquement rien.
Cependant, les biocarburants ne constituent peut-être pas l'usage le plus efficace de la biomasse, à cause des difficultés à transformer la biomasse en une énergie sous forme liquide à laquelle nous sommes tellement habitués. Un usage plus direct de la biomasse, par combustion ou gazéification, serait probablement plus judicieux. Partant de l'hypothèse que les technologies de transformation pourront être améliorées, nous envisagerons pour notre scénario une productivité moyenne nette de 2 tonnes d'équivalent pétrole par hectare et par an (2 tep/ha/an).
En pratique, la biomasse produite par l'agriculture ou la sylviculture ne sera généralement que partiellement utilisée pour la production d'énergie, directement ou indirectement. Nous supposerons que, au total, cet usage correspond à la production totale de biomasse d'une superficie égale à un quart du territoire européen. Bien entendu, dans l'usage des sols, il y aura une compétition entre les productions biomasse-énergie et alimentaire. La densité moyenne de la population européenne étant un peu supérieure à 100 habitants par km2, notre hypothèse correspond à une superficie de près d'un quart d'hectare par personne !
A partir de ces deux valeurs, productivité et superficie, on calcule que la production d'énergie serait de près de 0,5 tep par an et par personne ou, précisément, de 1,18 kep/j/p, qu'il faut comparer à la consommation actuelle de biomasse-énergie de 0,37 kep/j/p. La carte suivante indique la consommation d'énergie-bois dans différents pays, de moins de 30 kg à plus d'une tonne par personne et par an (qu'il faut diviser par 2,5 pour connaître l'équivalent en pétrole). On notera encore que l'énergie-bois représente actuellement les trois quarts de la biomasse-énergie consommée en Europe.
Pour capter l'énergie du soleil, on utilise des capteurs photovoltaïques ou des capteurs thermiques. Les premiers convertissent directement le rayonnement solaire en électricité. Dans les seconds, ce rayonnement sert le plus souvent à produire de l'eau chaude sanitaire ou participe au système de chauffage. La carte ci-dessous indique la quantité d'énergie solaire captée en un an par un mètre carré de surface horizontale. La moyenne en Europe tourne autour de 1.000 kWh/m2/an (ou 0,24 kep/m2/j).
Pour notre scénario, nous allons attribuer 10 mètres carré de panneaux photovoltaïques à chaque habitant, soit 40m2 pour une famille de 4 personnes. Cela correspond plus ou moins à couvrir tous les versants sud des toitures d'Europe de capteurs solaires. On aurait pu préférer des panneaux solaires thermiques mais le rendement utile est alors plus difficile à estimer car il est très difficile de distinguer la fraction réellement utile de la chaleur emmagasinée de celle qui ne répondra à aucun besoin.
Le rendement annoncé par les vendeurs de cellules photovoltaïques peut approcher les 20%. Mais, pour une "ferme solaire", c'est à dire un assemblage de panneaux photovoltaïques, on considère actuellement comme bon un rendement moyen de 10%. Cela tient au fait que seule une partie de la surface est réellement occupée par les cellules photovoltaïques proprement dites, que la propreté des panneaux n'est pas à tout instant optimale, etc. Malgré ces limitations, nous supposerons que des progrès dans cette technologie encore jeune permettront d'atteindre un rendement effectif moyen de 20%.
Avec ces hypothèses, la production d'énergie solaire en Europe passerait de pratiquement zéro aujourd'hui à un peu moins de 0,5 kep/j/p.
L'énergie du vent est utilisée par l'homme depuis des millénaires. Pour la navigation à voile d'abord mais aussi pour faire tourner différents types de moulins. Ainsi que le stipule la loi de Betz, on ne peut récupérer qu'une partie (moins de 59%) de l'énergie du vent. Cependant, comme le vent est "gratuit", ce n'est pas tant le rendement qui est important que le rapport entre l'énergie produite par l'éolienne et son poids ou son coût.
La carte ci-dessous indique les vitesses de vent en plaine ouverte. Dans les autres situations, il faut utiliser un facteur correctif, augmentation en mer et diminution en terrain moins bien dégagé. Comme on peut s'y attendre, les vitesses de vent les plus importantes se trouvent sur la façade atlantique.
Pour notre scénario maximaliste des énergies renouvelables, nous envisagerons d'équiper l'Europe en éoliennes de un mégawatt de puissance nominale à raison d'une éolienne pour mille habitants. Ce sont déjà de belles éoliennes, dont le diamètre du rotor avoisine les 60 m. Mais on peut tout aussi bien proposer une éolienne de 2 mégawatts pour deux mille habitants. Cependant une éolienne ne produit pas en permanence une énergie correspondant à sa puissance nominale car le vent peut être plus faible voire nul. L'expérience montre qu'une éolienne terrestre produit annuellement la quantité d'énergie électrique correspondant au fonctionnement à sa puissance nominale pendant 2.000 heures (environ un quart du temps) et une éolienne marine pendant 3.000 heures.
Au plus la taille des éoliennes augmente au plus il faut les écarter les unes des autres pour qu'elles ne se nuisent pas mutuellement. Ainsi, on estime la densité de puissance à 10 MW/km2. Juste pour fixer les idées, avec une éolienne pour mille habitants on couvrirait, pour l'Europe des 15, une bande de 3.800 km de long (la longueur de la façade atlantique européenne) et de 10 km de large.
L'objectif d'une éolienne par mille habitants permettrait de produire 0,5 kep/j/p, contre très peu aujourd'hui.
Comme nous l'avons fait pour la biomasse, nous regrouperons ici, avec les éoliennes, toutes les technologies qui puisent leur énergie dans les mouvements de l'atmosphère ou de la mer. On pourrait par exemple remplacer un certain nombre de ces éoliennes par des "hydrauliennes", qui utilisent l'énergie des courants marins, ou par ces nouvelles machines qui produisent de l'énergie à partir de la houle. Dans les deux cas, les machines envisagées par les fabricants ont une production annuelle du même ordre de grandeur que celle d'une éolienne.
La carte ci-dessous indique le flux de chaleur (énergie géothermique) qui traverse la croûte terrestre en provenance du manteau. Il est en moyenne de 70 mW/m2 ce qui correspond à 1,4 kep/ha/j. Cette faible puissance et la faible température qui règne à quelques mètres sous terre rendent cette énergie totalement inexploitable et c'est à tort que l'on qualifie de géothermie un système de chauffage basé sur un cycle de pompe à chaleur.
La géothermie consiste le plus souvent à utiliser la chaleur stockée à une température suffisante (quelques centaines de degrés centigrades) dans de vastes nappes aquifères profondes ou dans des zones de roches fracturées dans lesquelles on injectera de l'eau. Après quelques décennies, la température du réservoir thermique devient insuffisante et le captage est abandonné, le flux de chaleur en provenance du manteau étant insuffisant pour compenser le refroidissement dû à l'exploitation géothermique. Ce n'est qu'à proximité des cheminées volcaniques, comme en Islande par exemple, que le flux de chaleur peut être suffisant pour une exploitation continue.
Pour notre scénario, nous contournerons la difficulté d'estimation du potentiel énergétique en fixant comme objectif une multiplication par dix de la production actuelle d'énergie géothermique. Nous produirions alors 0,22 kep/j/p d'énergie géothermique.
Résumons-nous. Reprenons les différents éléments de notre scénario sur les énergies renouvelables.
Et voici le résultat de notre simulation sous forme graphique, ainsi que celui de la situation actuelle des renouvelables. Le cercle entier représente la consommation actuelle d'énergie primaire dans l'Europe des 15.
La biomasse représente le gros morceau des énergies renouvelables, suivie par l'éolien et le solaire. Au total, dans ce scénario très ambitieux, les énergies renouvelables permettraient de couvrir environ un quart de la consommation actuelle d'un Européen (des 15). Est-ce peu ? Est-ce beaucoup ? Chacun en décidera. Il faut cependant rappeler que notre consommation actuelle d'énergie est faramineuse puisqu'elle équivaut à consommer le stock de combustibles fossiles (la biomasse du passé) de l'ordre d'un million de fois plus vite qu'il ne s'est accumulé au cours des temps géologiques. C'est peut-être là qu'est la démesure et non dans la modicité de la production d'énergie renouvelable résultant de notre scénario.
Comme tout scénario, celui-ci peut librement être modifié pour y intégrer vos propres estimations.
Quoique l'on pense de l'énergie nucléaire, il est intéressant de se poser la question de son utilisation en remplacement des énergies fossiles. Pour rendre les choses concrètes, on se demandera combien il faudrait de centrales nucléaires pour remplacer les énergies fossiles en Europe (des 15).
Nos hypothèses seront les suivantes.
Sous ces différentes hypothèses, on calcule qu'il faudrait environ une centrale nucléaire par million d'habitants (0,96 million plus précisément).
Ce cocktail énergétique est représenté dans le graphique suivant dans lequel, comme précédemment, les quantités sont exprimées en kilogramme d'équivalent pétrole par jour et par personne (kep/j/p) d'énergie primaire. Les énergies renouvelables représentent environ 25% du total, le nucléaire actuel 15% et le nucléaire additionnel 60%.
Bien entendu, nous n'avons pas abordé ici une série de questions :
Dans tous les domaines et dans tous les pays, on constate que la croissance économique s'accompagne d'une augmentation de la consommation d'énergie.
Comme le montre le graphique ci-dessous sur la consommation totale d'énergie primaire, durant les 25 dernières années, la consommation mondiale d'énergie a augmenté en moyenne de 1,9% avec une accélération de cette croissance, jusqu'à 4,9% en 2004 ! Dans le cas de l'Europe des 15, la croissance moyenne est de 1% (1,9% en 2004).
Dans le cas des pays industrialisés, il faut encore tenir compte d'une externalisation de plus en plus significative de la consommation d'énergie : de plus en plus de produits consommés en Europe, proviennent de pays émergents (Chine, Inde...). Or l'énergie consommée pour produire ces biens n'est pas comptabilisée en Europe. Ce sont les pays de vieille industrialisation (Europe, Etats-Unis) qui consomment ces biens mais d'autres pays qui se voient imputer la consommation d'énergie et les émissions de CO2 !
Voyons la composition et l'évolution de ce cocktail énergétique en fonction de la croissance de la consommation. Partant de la situation actuelle
quel que soit le taux de croissance de la consommation énergétique, elle doublera après un certain nombre d'années,
puis doublera encore,
et encore...
Ainsi avec une croissance annuelle de
Et comme la surface de la Planète et de l'Europe n'augmentera pas dans la même proportion, n'autorisant pas une croissance parallèle de la production des énergies renouvelables, il faudrait sans cesse doubler le nombre de centrales nucléaires, passant d'une centrale par million d'habitants à deux, puis quatre, puis huit, etc. Nous devons être francs : cela est impossible.
Et comme il n'y a pas d'autre source d'énergie disponible, la poursuite de la croissance de la consommation d'énergie ne sera pas possible. Il faudra bien trouver autre chose...
ORMEE
2007