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Du lisier de vaches pour une centrale au gaz
dimanche 21 février 2021, par
Tout le monde le concède, parfois du bout des lèvres il est vrai, il faudrait cesser le plus rapidement possible d’utiliser ces combustibles fossiles qui rendent notre climat de plus en plus inhospitalier. Le consensus est large sur la manière d’y arriver, l’électricité verte est la fée toute trouvée, idéale pour se substituer au pétrole, pas de doute. Pour ceux par exemple qui voient un avenir radieux dans la croissance verte notre mobilité devrait rapidement devenir électrique. D’ailleurs la voiture électrique généralisée ne figure-t-elle pas en bonne place dans les cartons de tous les gouvernements ? Et bien entendu, l’électricité utilisée par tous ces véhicules serait 100% verte, produite grâce à des éoliennes, des panneaux photovoltaïques ou des centrales au biogaz. Reste un affreux petit détail, peut-on réellement produire les quantités d’électricité verte nécessaires ? Et en plus pour les multiples usages qu’on lui destine ? Bien entendu, comme il ne s’agit que d’un détail, il n’est évidemment pas nécessaire qu’on nous fournisse des explications simples et claires qui nous feraient bien voir combien tout cela est réaliste. Combien d’éoliennes, combien de panneaux photovoltaïques, combien de méthaniseurs ?
Tentons une petite expérience, juste pour se faire une idée. Puisqu’on a déjà l’habitude de produire de l’électricité dans des centrales au gaz, pourquoi ne pas les alimenter avec du biogaz issu de la méthanisation plutôt qu’avec du gaz venu de fort loin ? Quoi de plus vert ? Chaque jour nos vaches wallonnes produisent du lisier que l’on pourrait récupérer. N’y en aurait-il pas assez pour produire du biogaz dans des méthaniseurs puis, avec la centrale à gaz, ne pourrait-on pas alors produire une électricité parfaitement verte ?
Première étape, réaliser un modèle simplifié de ce projet, avec art et méthode. C’est le moment d’ajouter quelques chiffres à la recette sans quoi elle n’aura aucun goût et aucune conclusion ne sera possible. Partons d’une bonne centrale à gaz, comme on en possède quelques unes en Belgique (Amercœur, Seraing, Saint-Ghislain, Drogenbos, Vilvorde, Herdersbrug, Gand, etc.), disons une centrale de 500 mégawatts (MW), équivalent à un demi réacteur nucléaire. Pour l’alimenter, il faudrait trouver dans les environs la quantité de lisier nécessaire aux installations de méthanisation. Une question simple surgit alors, combien faudrait-il de vaches laitières pour notre centrale ? Les vaches laitières sont les plus productives en lisier, fumier et purin ; elles fournissent, dit-on, vingt tonnes de lisier par an [1]. Avec un bon gros méthaniseur ces vingt tonnes de lisier se transforment en biogaz contenant 800 mètres cube de méthane [2]. Cerise sur le gâteau, le méthaniseur produira également quelques tonnes de boue, nommée digestat, dont une partie pourra être transformée en fertilisant.
Reste à déterminer le nombre de vaches laitières nécessaire pour alimenter notre centrale en biogaz. À 500MW, la centrale absorbe chaque seconde 35 mètres cube de méthane. Mais comme elle adaptera son fonctionnement aux besoins en électricité, on suppose qu’elle ne tournera que 20% du temps. Avec cette hypothèse, nous aurons besoin chaque année de 220 millions de mètres cube de méthane [3]. La réponse vient alors simplement, il nous faudrait 275.000 vaches pour alimenter notre centrale. Petit problème, il n’y a pas assez de vaches liégeoises pour alimenter la centrale de Seraing. Au total, il y a 442.000 vaches wallonnes laitières ou allaitantes [4]. Bonne nouvelle ! Avec humour, on peut dire que tout le lisier des vaches wallonnes serait suffisant pour faire fonctionner une seule centrale gaz et à un cinquième seulement de sa capacité !
Il ne s’agit bien évidemment que d’un ordre de grandeur, uniquement pour se faire une idée des quantités en jeu, pas d’un calcul qui viserait à obtenir un résultat rigoureusement exact. D’ailleurs, il y aurait bien d’autres aspects à examiner comme celui du trafic des camions qu’il faudrait pour transporter chaque jour les 15.000 tonnes de lisier nécessaires à la production du gaz pour notre centrale, ou les 250 installations de méthanisation (60 tonnes de lisier par jour, comme celle de la photo) chargées de transformer ce lisier en biogaz.
Qu’en conclure ? Avant tout que notre société a un problème de quantités plutôt qu’un problème de technique. Peu importe la technique envisagée, ce sont les quantités astronomiques d’énergie exigées par les modes de vie occidentaux qui rendent pour l’instant le défi climatique insoluble. Quelle que soit la source d’énergie verte envisagée, solaire, éolien ou biomasse, les quantités seront toujours insuffisantes dans le cadre du système économique actuel.
Reste une question intrigante. Pourquoi les gouvernants et les industriels ne proposent-ils pas ce genre de petits calculs de coin de table, simples et compréhensibles par tous ? Ils pourraient ainsi expliquer comment ils obtiendraient l’énergie verte destinée à la voiture électrique pour tous ou à alimenter des avions volant à l’hydrogène ? Aurait-on peur que le grand public ne finisse par comprendre qu’il ne s’agit que de mirages destinés le convaincre de poursuivre sur la voie d’une croissance insoutenable ? Aurait-on peur des scientifiques indépendants qui sonnent l’alarme chaque jour ? Au lieu de cela, l’assaut pour décrédibiliser les paroles scientifiques et citoyennes non conformes aux intérêts économiques est de plus en plus violent, comme en témoigne lucidement Bastamag.
[3] Avec l’hypothèse habituelle d’un rendement moyen de 40% (pouvoir calorifique inférieur - PCI - du méthane : 36MJ/m³).
[4] Chiffres clés de la viande bovine : 196.000 vaches laitières et 246.000 vaches allaitantes.
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